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20 ans après avoir été partenaires, Mathieu Bodmer et Nicolas Seube ont évoqué leur passion commune : le football

Pour lancer cette interview, nous avons fait appel à la mémoire de Mathieu Bodmer et Nicolas Seube en leur montrant une photo de 2001, à l'époque où ils étaient coéquipiers à Malherbe. ©Damien Deslandes

Pour lancer cette interview, nous avons fait appel à la mémoire de Mathieu Bodmer et Nicolas Seube en leur montrant une photo de 2001, à l'époque où ils étaient coéquipiers à Malherbe. ©Damien Deslandes

Quels souvenirs gardez-vous de vos deux saisons en commun sous le maillot du Stade Malherbe, qui évoluait en D2 ?

Mathieu Bodmer (MB) : "La saison d’avant (2000-2001), ma première chez les pros, on se maintient à l’avant-dernière journée. On avait vécu une saison compliquée avec le limogeage de Pascal Théault. Jean-Louis Gasset avait pris la suite comme entraîneur. Nico est arrivé la saison d’après, avec Hervé Gauthier comme coach. Franchement, cette année-là, on avait une belle équipe. Huit joueurs avaient été recrutés : Xavier Gravelaine, Pascal Braud, Séb Mazure qui venait du HAC… Ces joueurs nous avaient apporté pas mal de choses".

Nicolas Seube (NS) : "On avait fini 5e ou 6e à égalité avec Le Mans (6e exactement). Cette saison-là (2001-2002), les quatre premiers montaient car la Ligue 1 rebasculait à 20 équipes. Ce sont de très bons souvenirs car ce sont mes débuts chez les pros. A l’époque, j’étais à la recherche d’un projet où je pourrais jouer. Je dois vous l’avouer : Caen est le seul club qui m’a fait confiance. Pourtant, au départ, je n’étais pas forcément prévu parmi les titulaires. Je ne vais pas cacher que mes premiers matches n’ont pas été d’une grande qualité. Ça s’est amélioré avec le temps. J’ai aussi découvert des joueurs d’expérience comme Franck (Dumas), Xavier, David Faderne… Bon, même si ce qu’ils faisaient au quotidien n’était pas toujours en adéquation avec leurs performances du week-end (sourire)".

"Nico, c'était un joueur fiable. Quand tu le mettais, tu savais quel match il allait te faire"

Mathieu Bodmer

MB : "Ah Xavier, il ne jouerait pas aujourd’hui (rires)".

NS : "Ça serait plus compliqué mais le gars, même en étant un peu en dedans la semaine, dès que la compétition arrivait, il branchait direct, il s’imposait une exigence extrême. Xavier, cette saison-là, c’est 15 buts et 15 passes dé quand même".

Mathieu, vous qui avez été formé au SM Caen, vous avez vu débarquer Nicolas à l'été 2001...

MB : "Il est arrivé en même temps que Cédric Hengbart. Ils ont remplacé Taff (Grégory Tafforeau) et Richard Lecour (partis, respectivement à Lille et à Avranches). A la reprise, on avait un effectif conséquent puisqu’on n'avait pas enregistré beaucoup de départs. Hervé Gautier avait dû composer deux groupes. Il a annoncé à une dizaine, une douzaine de mecs, qu'ils devaient aller se changer ailleurs, s’entraîner sur un autre terrain".

NS : "C'était une sorte de loft avec Johan Gallon, Frédéric Viseux (aucun des deux ne restera finalement, le premier signant à Carouge en Suisse), Christophe Le Gris qui a réintégré le groupe par la suite".

Et comment se comportait le jeune Nicolas Seube ?

MB : "Chez Nico, quelque chose m'a frappé, je l’ai toujours trouvé meilleur à gauche qu’à droite (alors qu'il est droitier) avec cette faculté à rentrer sur son pied fort. Nico avait les qualités que je n’avais pas : l’abnégation, la hargne… Il était plus sérieux que moi, plus travailleur. Un bon gars de vestiaire également. C’était un joueur fiable. Quand tu le mettais, tu savais quel match il allait te faire. Moi, une fois, c’était très bien et la fois d’après, c’était l’autre. A cette époque, c’était souvent l’autre qui jouait. Avec Nico, tu n’avais pas ce problème".

Pour lancer cet entretien entre Mathieu Bodmer et Nicolas Seube, nous avons sollicité leurs souvenirs avec cette photo. Et autant dire que l'un comme l'autre ont une excellente mémoire. "C'était en Coupe de France, à Cherbourg (CFA). On avait gagné 1-0", dégaine en premier l'entraîneur du SMC. Qui les accompagnait ? "(Jimmy) Hébert, (David) Faderne, (Jean-Philippe) Caillet, (Fabrice) Catherine, (Cyrille) Watier, (Frédéric) Coquerel, (Bruno) Grougi, (Anthony) Deroin, (Pascal) Braud", énumère, sans la moindre hésitation, le directeur sportif du HAC. "Je me rappelle avec qui j'ai joué en poussins alors chez les pros". ©Roland Le Meur

Vous Nicolas, quel regard portiez-vous sur Mathieu Bodmer, l'un des grands espoirs du Stade Malherbe à cette époque ?

NS : "C’était un élément qui sortait du centre, qui avait déjà joué en Ligue 2 la saison d’avant (25 apparitions), sur lequel le club comptait beaucoup. Il y avait beaucoup d'attentes. Aujourd’hui, pour être de l’autre côté, je sais que l’éclosion d’un jeune joueur prend du temps. Après, Math avait cette capacité technique au-dessus de la moyenne, une vision du jeu, cette faculté à jouer avec les autres. Par contre, il n'avait pas ce volume de jeu et cette capacité à courir qu’il a acquis à Lille. Ça a donné lieu à quelques embrouilles avec M. Rémy (l’entraîneur du SMC en 2002-2003). Avec Claude Puel (au Losc), il n’a plus eu le choix et c’est devenu un autre joueur".

Avez-vous gardé une anecdote de ces deux saisons que vous avez partagées ?

NS : "Mon premier but en Ligue 2, c’est sur une passe de Math, à Clermont. Déjà, pour que je marque, il fallait un miracle (ses statistiques font état de dix réalisations en 520 matches sous le maillot « Rouge et Bleu »)".

"Mon premier but en Ligue 2, c'est sur une passe de Math (...) Je marque sur un piqou tout dégueulasse"

Nicolas Seube

MB : "Nico avait fait un bel appel".

NS : "Sur l’action, le défenseur central se claque ; ce qui m’a permis de prendre la profondeur. En face, ça devait être leur troisième gardien, il avait quelques problèmes à ce poste, et je marque du pied gauche, sur un piqou tout dégueulasse (sourire)".

MB : "Il a une bonne mémoire car j’allais lui poser la colle".

NS : "On gagne 3-2. Avant ce match (J24. début février), on était dernier ! Je me souviens de Jimmy Hébert dans l’ascenseur à l'hôtel qui n’en revenait pas qu’on soit dernier. Bon, au final, on s’est classé 7e (en 2002-2003)".

On a fait référence un peu plus tôt à l'entraîneur Patrick Rémy. Mathieu, vous n'étiez pas son plus grand fan...

MB : "C’était compliqué, très compliqué avec le coach et son adjoint, Stéph Roche. Bien sûr, parfois, j’ai été très c… mais je pense que je n’avais pas toujours tort. Ma dernière année à Caen, je suis écarté du jour au lendemain pendant quatre mois. J’étais avec la CFA2. A Valence (lors de la 38e et dernière journée), j’ai dû entrer 12 secondes, 20 secondes… Je dois toucher un ballon. Je m’en rappellerai toute ma vie".

NS : "Heureusement que Franck était là. C’est lui qui a fait le lien entre Math et Claude Puel (qui avait été l’entraîneur de Franck Dumas à Monaco). Franck avait décelé le talent de Math".

MB : "C’est grâce à Franck que je suis parti à Lille (dirigé à l'époque par Claude Puel)".

Avec Patrick Rémy, l'un de ses entraîneurs au SMC, Mathieu Bodmer a connu, de son propre aveu, une relation compliquée ; le technicien l'écartant quatre mois avant que l'Ebroïcien ne parte à Lille grâce à Franck Dumas. ©Damien Deslandes

Même si vous étiez extrêmement jeunes au début des années 2000 (19 et 22 ans), est-ce qu’on pouvait déjà déceler chez vous cette volonté de poursuivre votre carrière dans le football, comme coach ou dirigeant, une fois les crampons raccrochés ?

NS : "Personnellement, c’était très loin de mes préoccupations. Déjà que quand tu te rapproches de la fin de ta carrière, tu n’y penses pas forcément. Je songeais surtout à être performant le week-end. A cette époque, je n’avais pas du tout le sentiment d’avoir cette vocation (d'entraîner)".

MB : "Moi non plus. Je n’irais pas jusqu’à dire que je ne savais pas ce que c’était qu’un directeur sportif mais pas loin".

Quand est née cette vocation alors ?

NS : "Déjà, j’ai eu la chance que le club me propose une reconversion ; ce qui est très rare aujourd’hui, dès 2008 en plus, avec des dirigeants qui ont respecté leur parole. Après, à un moment, tu es obligé de te projeter et tu te rends compte que le foot, tu ne sais faire que ça. Bien sûr, dans un club, les possibilités sont vastes : la communication, le marketing, l’administratif… Mais j’avais une certitude, il fallait que je sois sur un terrain et pas dans les bureaux. Aujourd'hui, je me sens presque plus à mon aise à la tête des pros qu'au centre car c'est un public que je connais mieux. Avoir été capitaine m'aide beaucoup dans le management d'un groupe".

MB : "Pour ma part, c'est un peu parti de mon expérience en tant que co-président d’Evreux (2009-2013). On avait repris le club avec Bernard (Mendy, ils sont tous deux originaires de cette ville). J’avais un rôle de manager avec la responsabilité de la gestion sportive. Même si aujourd’hui, je passe une partie de mon temps dans les bureaux, sur des réunions, car c’est le travail qui le réclame, comme Nico, je suis sur les terrains. Je kiffe être au bord des terrains, d’aller voir des matches… Je ne me vois pas aujourd’hui passer une journée sans parler de foot. Après, je n’avais pas spécialement prévu de devenir directeur sportif. C’est une question de feeling, une histoire de rencontres comme quand je suis allé bosser à la TV (consultant pour Téléfoot la chaîne et Amazon Prime Vidéo jusqu'à la saison dernière)".

"Je kiffe être au bord des terrains. Je ne me vois pas aujourd'hui passer une journée sans parler de foot"

Mathieu Bodmer

Pourriez-vous aujourd'hui exercer la profession de l'autre ? Mathieu, entraîneur et Nicolas, directeur sportif...

MB : "Dans tous les cas, je savais que je n’allais pas devenir coach. Il faut avoir une vraie vocation. Personnellement, j’ai beaucoup de mal à rester en place. Me dire que tous les jours, il faut revenir à l’entraînement, comme quand j’étais joueur, je n’y arrive pas".

NS : "Pour ma part, il est hors de question de devenir directeur sportif (sourire). Tout ce qui est lié aux agents, ça me donne des boutons".

Si, pour Nicolas Seube, il n'est pas question un jour de devenir directeur sportif, Mathieu Bodmer ne lui fera pas non plus de l'ombre comme coach. "Il faut avoir une vraie vocation", estime le directeur sportif du HAC. ©Damien Deslandes

Mathieu, est-ce que vous avez été surpris par la nomination de Nicolas comme entraîneur du Stade Malherbe ?

MB : "Pour Nico, c’est la suite logique. C’est même peut-être intervenu un peu tardivement (le 30 novembre après le renvoi de Jean-Marc Furlan et l'intérim assuré par Patrice Sauvaget). Peut-être qu’il y avait un coach à ne pas prendre avant. Perso, ce qui m’a dérangé à Malherbe ces derniers mois, ces dernières saisons, c’est le discours de certaines personnes à la tête de l’équipe. Ça ne ressemblait pas à ce club. A mon sens, c’est important d’avoir un coach formateur. Quand j’ai démarré, Pascal Théault, l’un des plus grands formateurs de l’histoire de Malherbe, était l’entraîneur des pros. A cette époque, beaucoup de jeunes sont sortis et ont fait de belles carrières (Jérôme Rothen, William Gallas, Bernard Mendy...). Je ne dis pas que Nico va faire jouer dix jeunes mais tu vois déjà qu’il y en a plus d’intégrés qu’il y a trois semaines, avec des vrais profils, peut-être moins que chez nous. Malherbe, c’est un club qui a toujours bien formé, j’en suis issu de cette formation, avec un style de joueur complètement différent de celui du Havre. C’est pourquoi je répète souvent qu’on n’est pas en concurrence avec Malherbe car il recrute des jeunes qu’on ne prendrait pas et inversement. Mais les deux clubs ont cette vocation formatrice".

Et vous Nicolas, avez-vous été étonné de voir Mathieu devenir directeur sportif du HAC ?

NS : "Je suis surtout épaté des résultats obtenus et par la rapidité de ces résultats, de la formation jusqu’aux pros. Le Havre restait sur 14 ans de Ligue 2. Je connais la difficulté pour remonter en Ligue 1 surtout après autant de temps. Pour moi, Math, c’est un autodidacte. Je me range aussi dans cette catégorie. Souvent, quand on débute, on nous reproche notre manque d’expérience mais la réponse, elle ne provient que du terrain. J’aime bien qu’on juge les gens par rapport à ce qu’ils font".

Vos équipes respectives vont donc démarrer cette année 2024 par cette confrontation régionale. Dans quel cadre inscrivez-vous cette rencontre, notamment par rapport à vos championnats ?

"On va pouvoir se jauger face à un adversaire de Ligue 1. Il va nous falloir ce supplément d'âme"

Nicolas Seube

MB : "Déjà, il y a un enjeu et c'est tant mieux. Je suis content de recevoir Malherbe. Ça promet une belle ambiance avec du monde au stade. Après, le HAC a une histoire récente contrariée avec la Coupe de France. On s’est souvent fait éliminer dès le 1er tour. La saison dernière, c'était à Alençon (N3). Avant d’y aller, on avait pris cinq buts en championnat, et les Alençonnais nous en ont collé trois (3-3, 5-3 tab) ! On est un peu passé pour des clowns. Là, on est obligé d’être à 100%. C’est un « derby », le premier match de l’année avec des garçons qui vont avoir leur chance comme certains sont partis à la CAN (André Ayew, Abdoulaye Touré et Mohamed Bayo). S’ils ne la saisissent pas, il faudra se poser des questions sur l’état d’esprit".

NS : "Pour notre part, on va pouvoir se jauger face à un adversaire de Ligue 1, supérieur à nous sur le papier. La différence avec la Ligue 2, elle est colossale. Comme c’est le premier match de l’année, on devrait aligner nos équipes type. Les joueurs vont pouvoir se mesurer sur un match couperet. Il va nous falloir ce supplément d’âme, ces capacités de dépassement de soi... Pour l’avoir vécu avec la Gambardella (finaliste en 2022), c’est important de faire des parcours avec de l’enjeu. Ça donne une dynamique. Le mois de janvier va être très important pour nous dans ce sens. Après, c’est vrai que sur ce match, il y a une rivalité régionale mais il ne faut pas oublier que ça reste un match de foot".

> CDF. 1/32e - Le Havre AC (L1) / SM Caen (L2), dimanche 7 janvier à 14 H 30 au Stade Océane.

Entre Mathieu Bodmer et Nicolas Seube, une estime réciproque

"C'est Mathéo ou c'est moi", souligne, avec le sourire, Mathieu Bodmer (ici, aux côtés de Nicolas Seube) à propos de cette photo où la ressemblance avec son fils aîné, néo-professionnel au HAC, est frappante. ©Roland Le Meur

C'est par une chaleureuse embrassade que les deux hommes se sont salués ; preuve de l'estime qu'ils se portent réciproquement. "Avec Mathieu, on a été élevés dans le même club", lance Nicolas Seube, référence au Stade Malherbe. "Même si je ne l'ai pas eu comme coach, je connais très bien Pascal (Théault, l'un des principaux formateurs de Mathieu Bodmer à Caen), j'échange régulièrement avec lui. Je sais par quoi Mathieu est marqué". Depuis qu'ils ont été partenaires pendant deux saisons sous le maillot « Rouge et Bleu » (2001-2003), ces deux anciens joueurs ne se sont jamais vraiment perdus de vue. Tout d'abord, en s'affrontant à de nombreuses reprises ; Mathieu Bodmer ayant souvent croisé la route du SMC avec ses clubs successifs (Lille, Lyon, PSG, Nice).

Ses deux fils tiennent également un rôle dans cette relation puisque son cadet, Timéo (17 ans) est pensionnaire du centre de formation caennais, dirigé par Nicolas Seube jusqu'en novembre, alors que son aîné, Mathéo (19 ans), néo-professionnel au HAC, appartient à la même génération que Brahim Traoré et Noé Lebreton. "Ils ont joué ensemble en équipe de Basse-Normandie", explique le directeur sportif (DS) des « Ciel et Marine ». Mathieu Bodmer et Nicolas Seube ont aussi une bonne connaissance en commun en la personne de Matthieu Ballon, éducateur historique du Stade Malherbe. "Matthieu, c'était mon voisin quand j'étais petit, à Evreux. On a grandi ensemble", confie le dirigeant havrais. Et qui sait, peut-être qu'un jour, ils collaboreront, chacun dans sa fonction respective, dans un club qui ne devrait être ni le HAC, ni le SMC. Histoire de ne pas faire de jaloux.

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