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François Rorigues : "Dans un club formateur comme le HAC, tu ne peux pas faire venir un entraîneur qui ne fait pas jouer les jeunes"

Déjà éducateur pour le club doyen pendant dix saisons au début des années 2000, François Rodrigues est revenu au HAC en 2018 pour y diriger le centre de formation.

Déjà éducateur pour le club doyen pendant dix saisons au début des années 2000, François Rodrigues est revenu au HAC en 2018 pour y diriger le centre de formation.

Aujourd’hui, quasiment la moitié du XI de départ de Luka Elsner est composée d’éléments issus de la Cavée Verte dont Arouna Sanganté (20 ans), Josué Casimir (21 ans) et Yassine Kechta (20 ans, forfait jusqu'à la fin de la saison)… Est-ce que ces jeunes joueurs ne constituent pas la meilleure publicité qui soit pour la formation havraise ?

"Forcément. L’exposition de nos jeunes en équipe première est une satisfaction pour un club comme le nôtre basé sur la formation. Vous citez Yassine Kechta. C’est un exemple parfait d’un joueur qui a été rattrapé grâce à la communication qui s’est mise en place entre la nouvelle direction technique et la formation. Au niveau du centre, on s’est battu pour lui. Comme on avait fait avec la direction précédente, on a poussé pour qu’il signe pro. J’avais même eu le président (Vincent) Volpe au téléphone à son sujet. Mais à l’époque, le manager général (Paul Le Guen) n’y croyait pas. Heureusement, Mathieu (Bodmer), Momo (El Kharraze) et Luka (Elsner) nous ont suivis. D’un entraîneur à un autre, il peut y avoir une telle divergence de point de vue sur un joueur en formation. Si ce n’est pas Luka le coach du HAC, où en est Yassine aujourd’hui ? La philosophie de Mathieu est d’accorder une grande confiance à la formation. Bien sûr, on peut se tromper mais on est source de proposition".

Vous faites référence au directeur sportif Mathieu Bodmer, à son adjoint Mohamed El Kharraze et au coach Luka Elsner. Depuis leur nomination l’été dernier au HAC, qu’ont-ils apporté au niveau de la formation ?

"Mathieu (Bodmer) et Momo (El Kharraze) connaissent tous les joueurs de notre centre de formation. Et quand je dis tous les joueurs, ce sont tous les joueurs… de la préfo à la réserve. Ce n’est pas donné à tous les clubs"

"Du lien, tout simplement. Il y a une ligne directrice extrêmement productive entre les pros, la formation et la direction. Mathieu et Momo sont présents quasiment tous les jours à la Cavée Verte. Ils font remonter les infos, il y a des échanges, de la communication. Cette soudure entre ces trois entités du club, c’est peut-être ce qu’il nous manquait auparavant. On n’est pas toujours d’accord mais il y a un débat, dans le respect. Mathieu et Momo connaissent tous les joueurs de notre centre. Et quand je dis tous les joueurs, ce sont tous les joueurs… de la préfo à la réserve. Ce n’est pas donné à tous les clubs. Selon moi, c’est l’un des points essentiels de notre réussite cette saison. On a aussi un entraîneur, bien entouré par son staff, épatant. Il parvient à gérer un groupe pro tout en incorporant des jeunes ; ce qui n’est pas évident quand tu as des ambitions de monter. Le staff des pros visionne quasiment tous les matches des U17, des U19 et de la réserve (N3). Pour chaque match de jeunes, il reçoit un rapport. Il y a aussi un homme qui est très important dans le dispositif du club, c’est Julien Momont, M. data. Il a un œil extrêmement pertinent. Il apporte des données sur lesquelles les entraîneurs peuvent s’appuyer. Que ce soit Momo, Luka ou Julien, ils sont complémentaires. Et ce navire est orchestré de main de maître par Mathieu".

Quelle est selon vous la définition d’un club formateur ?

"Elle repose sur quatre piliers : recruter, former, exposer et vendre. En matière de formation, la première des choses, c’est de bien recruter. Pour cela, il faut une cellule de recrutement performante. La nôtre est dirigée par Franck Sale, renforcée désormais par Momo et Mathieu dont le réseau n’est plus à démontrer. Derrière, pour bien former, on s’appuie sur une équipe technique dynamique, performante, expérimentée… Ce sont des éducateurs spécialisés dans la préformation et la formation. On a Michaël Bunel comme responsable de la préfo. Il est épaulé par Alexandre Lerond, en charge de l’école de foot et des U14, et d’Alexis Baudet, qui s’occupe des U15. Dans les catégories suivantes, Marcel Kalonji (U17) et Jaïr Karam (réserve - N3) sont arrivés cette saison. Pour résumer notre modèle, on recrute bien, on est performant en préfo, on forme et on expose sur l’équipe première afin de la renforcer puis dans un deuxième temps d’envisager des ventes pour pérenniser notre club".

Pour François Rodrigues, directeur de la Cavée Verte depuis 2018, l'arrivée de Mathieu Bodmer, comme directeur sportif, de Luka Elsner, en tant qu'entraîneur, et de toute leur équipe technique (Mohamed El Kharraze, Julien Momont) a apporté un second souffle à la formation havraise. ©Damien Deslandes

Aujourd’hui, à quoi ressemble la photographie du joueur formé au HAC ?

"Tout d’abord, on a mis en place une véritable politique de recrutement locale, départementale et régionale, complétée par un réseau national. Contre Saran (le 22 janvier), en championnat U19, j’avais neuf Normands dont six Havrais. On a la chance d’avoir des clubs havrais qui travaillent très bien. Avec certains d’entre eux, on a une convention de partenariat (échanges techniques, observation des jeunes) : Caucriauville, Mont-Gaillard, Frileuse, les Municipaux, Gonfreville… C’est très important de tisser des liens forts avec nos clubs régionaux car sinon, on peut perdre des gamins. On doit composer avec la concurrence. Marseille a un recruteur qui opère sur notre secteur. Nice, le Stade Malherbe aussi. On veut exploiter notre bassin de population, y compris le bassin rouennais (Yoni Gomis, Mokrane Bentoumi…). Comme on se trouve dans le même département (la Seine-Maritime), on peut faire venir de jeunes Rouennais relativement tôt. Derrière, via notre cellule de recrutement, on récupère quelques gamins des régions limitrophes : Amiens, Evreux… Par contre, on va très peu en Basse-Normandie. Les clubs, là-bas, restent fidèles au Stade Malherbe. On s’ouvre également aux DOM-TOM. On organise des échanges avec notre école de foot car on trouve que c’est intéressant d’un point de vue culturel. Pendant une semaine, en janvier, on a accueilli une délégation réunionnaise. Et on garde un œil sur ces départements d’outre-mer. Par le biais de Jaïr (Karam) qui est Guyanais, on va développer notre réseau en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. Via Momo El Kharraze, on est aussi implanté en Afrique et notamment au Maroc où il a travaillé à la Fédération".

Dans le dernier classement des centres de formation, établi par la direction technique nationale (DTN) en juillet 2022, le HAC occupait la deuxième place, seulement devancé par Lyon. Deux ans auparavant, vous ne pointiez pourtant qu’au 14e rang…

"Si demain, les critères sur la qualité d'accueil, l'hébergement et la qualité des pelouses sont intégrés au classement de la DTN, comme beaucoup de clubs le réclament ; ce que je trouve normal, on ne sera plus deuxième, je vous le garanti"

"Cette deuxième place, c’est à la fois une fierté et une reconnaissance de notre travail par la Fédération française. Elle n’est pas usurpée. Que ce soit la scolarité, le nombre de contrats pros signés par nos jeunes, leur temps de jeu en équipe première, notre représentativité dans les sélections, notre capacité à former des joueurs internationaux… On est performant dans les cinq critères qui permettent d’établir ce classement. Je parlais tout à l’heure de Luka Elsner. A mon sens, dans un club formateur comme le HAC, tu ne peux pas faire venir un entraîneur qui ne fait pas jouer les jeunes. Il faut qu’il soit sensible à ce sujet. Il ne faut pas oublier que ce classement, on le doit aussi à Paul (Le Guen). Si on est deuxième, c’est parce qu’il a fait jouer des jeunes. Ce classement donne également une bonne image du club. Quand on discute avec des familles pour recruter leur fils, on peut s’appuyer sur ce classement. Idem quand on a besoin de communiquer avec la Ville, des partenaires… Si l’on y ajoute les résultats de l’équipe première, je sens qu’on est attractif. Maintenant, il faut aussi le relativiser. On doit travailler sur notre qualité d’accueil, la qualité de notre structure d’hébergement, la qualité de nos pelouses… On doit absolument s’améliorer sur ces points. Si demain, ces critères sont intégrés au classement de la DTN, comme beaucoup de clubs le réclament ; ce que je trouve normal, on ne sera plus deuxième. Je vous le garanti".

En matière de formation, en quoi consiste votre méthode ? 

"Je m’appuie sur mon vécu, en premier lieu celui de joueur, sur mes échanges avec d’autres formateurs, sur mes différentes expériences, surtout au PSG où j’ai eu la chance de travailler avec Carlos Romagosa et David Hernandez, deux formateurs historiques du Barça. J’ai bâti une méthodologie basée sur l’intelligence du joueur, sur des process précis avec une terminologie identique entre chaque catégorie. L’un de mes principes de base, c’est que toutes les équipes à onze, des U14 à la réserve, jouent en 4-3-3. Chez nous, un joueur peut passer d’une catégorie à une autre, un U17 jouer en U19 ou en réserve. Pour les éducateurs qui viennent travailler à la Cavée Verte, ce système est une obligation. Parfois, ça peut engendrer un peu de frustration chez certains coaches mais ils sont prévenus avant d’arriver. Malgré tout, dans ce cadre, il existe une forme de liberté. La première concerne le milieu de terrain avec la possibilité d’évoluer avec une pointe basse, en 4-1-4-1, ou avec une pointe haute, en 4-2-3-1. En attaque, on peut utiliser deux excentrés, positionnés le plus large possible, ou trois attaquants très proches les uns des autres avec trois milieux qui coulissent. On met également en place des entraînements spécifiques par poste en préformation (U14-U15-U16) et en formation (U17-U19-N3), une fois par semaine, les mardis après-midi ; ce qui signifie qu’on décloisonne les séances. Les défenseurs travaillent entre eux. Idem pour les milieux et les attaquants".

La qualité des pelouses de la Cavée Verte constitue l'un des rares points noirs de la formation havraise. Compte tenu du piètre état des surfaces de jeu, de très nombreux matches des équipes de jeunes du HAC ont été délocalisés. ©Damien Deslandes

Vous évoquez une terminologie identique…

"Il y a ce qu’on appelle le TITAP : le Travail individuel tactique au poste. Cela concerne les gardiens, les arrières, les latéraux, les sentinelles, les relayeurs et les attaquants. Je vous donne un exemple. Si on prend le cas d’un défenseur central, en phase d’animation offensive, il a trois priorités initiales : soit il peut jouer de façon latérale, plein axe en cherchant par une passe courte un milieu de terrain ou alors renverser le jeu à l’opposé. Ça ne signifie pas qu’il ne doit jouer que de cette manière. C’est un bagage de base que tous ses camarades connaissent aussi. Quand notre axial gauche vient fixer à l’intérieur, notre excentré droit sait que le jeu peut être renversé sur lui. Conséquence, il doit se positionner en fonction, au maximum le long de la ligne de touche. C’est pourquoi il est important de recruter des joueurs intelligents, des garçons en capacité de prendre une photographie à l’instant T d’une situation de jeu. Quand j’ai le ballon, où sont placés mes partenaires ? Où dois-je faire ma passe ? C’est un travail qui est incorporé à l’intérieur des séances qu’on réalise sur quatre phases : en animation offensive, défensive ainsi que sur les transitions, offensives et défensives. Nouvel exemple : notre équipe perd le ballon, quelle attitude notre latéral qui était en train d’attaquer doit adopter ? Il le sait, il connaît sa priorité initiale, il doit rapidement effectuer le contre-effort pour se replacer au niveau de son défenseur central. Vous allez me dire, ce sont des bases. Oui, mais nous, au HAC, on les formalise".

Hormis le TITAP, est-ce que vous avez d’autres exemples de terminologie que vous utilisez dans toutes les catégories ? 

"peut-être qu’en L1, des jeunes ne joueront peut-être pas aussi régulièrement. C’est une problématique à prendre en compte"

"On a les FE : les Fondamentaux d’équipe. C’est le travail technique et tactique mis en place avec ton équipe en fonction de l’organisation de l’adversaire. Il y a aussi le TIT : le Travail individuel technique, le TITA : le Travail individuel tactique qui repose sur des jeux réduits. Au centre de formation du HAC, on est animé par l’idée que nos équipes aient la possession. Je considère que plus on a le ballon, plus on a de chances de marquer. On est porté vers l’offensive, on prend des risques… A nous d’être vigilant sur les quatre phases de jeu énoncées à l’instant pour ne pas attaquer n’importe comment. Sinon, on morfle sur les transitions".

A quatre journées de la fin de la saison, le HAC est leader de Ligue 2 avec neuf points d’avance sur le troisième. Une accession en Ligue 1 que le club doyen n’a plus connu depuis 15 ans permettrait-elle de mieux valoriser le travail réalisé à la formation ?

"J’en suis convaincu. Si cette équipe monte en Ligue 1 avec cinq-six joueurs issus du centre dans le onze, ça va donner un coup de projecteur sur notre club et par conséquent, sur notre formation. La formation, c’est la sève du HAC. En Ligue 1, on pourrait aussi plus facilement garder nos jeunes. Si on y avait été il y a quelques années, peut-être qu’un garçon comme Loïc Badé ne serait pas parti (prêté au FC Séville par Nottingham Forest, club auquel il appartient, Loïc Badé s’était engagé avec Lens en 2020). Maintenant, peut-être qu’en Ligue 1, des jeunes ne joueront peut-être pas aussi régulièrement. C’est une problématique à prendre en compte pour un club formateur. Avec une montée en Ligue 1, on aura également des moyens supplémentaires qui je l’espère, nous permettront d’améliorer notre structure d’accueil".

> U17 nationaux. J26 - Le Havre AC (2e - 53 points) / SM Caen (6e - 32 points), dimanche 14 mai à 15 heures au Stade Gagarine.

François Rodrigues

> Directeur du centre de formation du Havre AC

Né le 10 décembre 1969 (53 ans) à Beaune (Côte-d’Or).

Ex-milieu de terrain. Entraîneur-formateur.

Parcours de joueur : Beaune (D3), Montceau-les-Mines (D2), Besançon (D3), Beaume-les-Dames (D3), Vitré (D3), Bolbec (DH).

Parcours d’entraîneur-formateur : Bolbec (DH, jusqu’en 1999), Le Havre AC (1999-2009 puis 2018-...), SM Caen (2009-2013), Paris SG (2013-2018).

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