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Frédéric Gonçalves : "Quand on me dit que je suis coach d’une équipe féminine, je réponds que je suis entraîneur de foot"

Avec la réception de l'Olympique Lyonnais, tout juste éliminé de la Ligue des Champions, c'est une affiche de prestige qui attend les Havraises dimanche, au Stade Océane. ©Damien Deslandes

Avec la réception de l'Olympique Lyonnais, tout juste éliminé de la Ligue des Champions, c'est une affiche de prestige qui attend les Havraises dimanche, au Stade Océane. ©Damien Deslandes

Jusqu’en 2015 et votre arrivée à la tête des U19 nationales de Juvisy, vous n’aviez jamais exercé dans le football féminin. Alors que vous étiez éducateur chez les garçons, comment avez-vous basculé ?

"A la fin de la saison 2014-2015, alors que je suis coach à plein temps dans trois clubs et trois catégories différentes depuis un an (lire encadré ci-dessous), je reçois trois belles propositions, deux chez les garçons et une chez les filles. La première m’envoie au FC Annecy. Pour la deuxième, les Lusitanos Saint-Maur qui viennent de monter en CFA2 me demandent de reprendre comme joueur tout en restant à la tête des U19 que j’avais déjà la saison précédente. Et la troisième provient de Juvisy. Clairement, c’est la moins intéressante financièrement. Mais j’avais envie de découvrir autre chose. Avec les garçons, dans l’exécution, dans la pédagogie, j’avais fait un peu le tour de la question. Juvisy est un gros club féminin (qui a fusionné en 2017 avec le Paris FC) qui me permet d’entraîner au niveau national. C’est une opportunité de toucher le haut niveau. En plus, ça faisait longtemps que le football féminin m’intriguait".

Quelles ont été vos premières impressions ?

"A la VGA Saint-Maur, On arrivait sur les terrains avec des gamines qui avaient des bagues sur les dents"

"Je ne vais pas vous mentir, la première fois que j’ai vu une compétition féminine, je me suis interrogé. J’avais trouvé le niveau faible. Pendant l’été, il m’a fallu du temps pour me convaincre que j’avais pris la bonne décision. Mais très rapidement, mon prédécesseur m’a rassuré. Et dès les premiers matches amicaux, j’ai eu la confirmation de ses propos. Que ce soit dans les performances, dans la qualité d’écoute, dans la recherche de la perfection... J’ai été très heureux pendant deux ans. J’ai eu beaucoup de filles qui évoluent, aujourd’hui, en D1 et en D2, qui sont passées par le PSG, Lyon voire en équipe de France. J’ai quand même eu des joueuses comme Théa Greboval, Elisa d’Almeida, Oriane Jean-François (toutes internationales)".

Dans votre parcours, votre passage à la tête de la VGA Saint-Maur (D2) a énormément compté ?

"J’ai vécu une aventure humaine incroyable, surtout avec les membres de mon staff, mon adjoint « Magic Panda » Kalala qui était déjà avec moi à Juvisy, Yohan, le préparateur physique, Laurane, l’ostéopathe, Gaëtan, qui était stagiaire en charge de la vidéo. Avec toutes ces personnes, il a fallu tout reconstruire. Le défi n’était pas simple. On avait un groupe très jeune avec beaucoup de filles âgées entre 15 et 19 ans. On arrivait sur les terrains avec des gamines qui avaient des bagues sur les dents. On a réalisé de belles performances avec zéro budget. Après trois journées, on est leader, à la trêve, quatrième (la VGA Saint-Maur s'était classée septième)… Personne ne nous a vu venir. Bien sûr, on a connu des bas dans la saison mais on a toujours été capable de se relever. Je me souviens qu’en amical, on avait affronté à Clairefontaine l’équipe de France B de (Sakina) Karchaoui, (Nadjma) Ali Nadjim (qui évolue actuellement au HAC), (Elodie) Thomas… On était arrivé en retard au rendez-vous. Ça ne nous avait pas empêché de mener 1-0 à la mi-temps (la VGA Saint-Maur s’était finalement inclinée 4-1). On a également obtenu le titre de champion de France en U19. En finale, on bat l’OM chez lui (le match avait lieu à Marignane). Malheureusement, les conditions n’étaient pas réunies pour continuer. Aucun membre de mon staff n’a reçu de proposition pour prolonger et ça ne me convenait pas de continuer seul".

Avant de poser ses valises au HAC à l'été 2021, Frédéric Gonçalves a entraîné chez les féminines à Juvisy (U19 nationales), à la VGA Saint-Maur (D2) ou encore à Thonon Evian Grand-Genève (U19 nationales). ©Damien Deslandes

Quel regard portez-vous sur l’évolution du football féminin ?

"Pour la D1, je ne pourrais pas dire, je n’ai pas assez de recul. Par contre, concernant la D2, le championnat était très relevé la saison dernière. De nombreux observateurs ont souligné que des équipes comme Nantes, Lille et Metz avaient leur place en D1. Lens et Strasbourg étaient aussi très fortes. Le fait que le championnat de D2 ait été aussi compétitif nous a permis de préparer la D1. Et avec Laure (Lepailleur, la manager général), cette saison, on a réalisé un recrutement de D2 en prenant deux filles à Lille (Silke Demeyere, Salomé Elisor), une à Marseille (Laura Rueda, partie au mercato d’hiver à Villareal, en Espagne), une à Lens (Christy Gavory), une à Metz (Eva Kouache), une jeune à Strasbourg (Ananée Yeboah)… Notre projet était de bâtir une super équipe de D2 pour se maintenir en D1. Et il y a encore de la réserve. Il y a des joueuses que j’irais chercher pour jouer en D1. Avec notre parcours cette saison, on est en train de casser des préjugés sur la D2".

La saison prochaine (2023-2024) marquera un tournant dans la structuration du football féminin avec un seul groupe de D2, contre deux aujourd’hui, et le retour d’une troisième division…

"En affrontant des U14-U15 garçons, ça nous prépare au mieux contre les meilleures équipes de D1"

"Ces décisions vont dans le meilleur sens. J’y suis pleinement favorable. Le fait qu’il n’y ait plus qu’une seule poule de D2 va donner une vraie visibilité à ce championnat. Par contre, je trouve dommage de ne pas avoir élargi la D1 avec 14 voire 16 équipes (contre 12 aujourd’hui). On ne manque pas de candidats. De nombreux clubs commencent à bien se structurer : Marseille, Lille, Nantes, Lens, Strasbourg, Metz… Je pense que ça rendrait ce championnat plus attractif. Après, je comprends les défenseurs d’une formule à 12 dans le sens où depuis Reims (en 2020), aucun promu ne s’est maintenu en D1. On sera peut-être le prochain".

Pour la progression de votre groupe, vous vous entraînez de temps en temps avec les garçons, que ce soit à travers des séances spécifiques par poste avec le pôle préformation la saison dernière ou des matches amicaux contre des U14-U15…

En affrontant des garçons de cet âge, au niveau de la rapidité d’exécution, de la percussion, de la puissance, on se confronte à une opposition relevée. Du coup, ça nous demande d’aller plus vite dans les intentions de jeu et dans les enchaînements ; ce qui nous prépare au mieux contre les meilleures équipes de D1. Pourquoi ne pas se confronter à des garçons plus âgés ? Il faut veiller à l’aspect athlétique. Déjà à 15 ans, vous pouvez tomber sur des garçons bien formés, certains mesurent déjà 1,85 m ! Physiquement, il y a une énorme différence avec nos filles".

Du costard-cravate au survêt’

Avant de devenir éducateur à plein temps, Frédéric Gonçalves a exercé plusieurs métiers dont celui de conseiller en assurance dans la banque d’état portugaise.

Si, aujourd’hui, Frédéric Gonçalves est entraîneur d’une équipe professionnelle, ce ne fut pas toujours le cas. Le technicien havrais a eu une première vie avant de se consacrer à 100% à sa passion du ballon rond. Ayant accompli toute sa carrière de joueur en région parisienne (Versailles, Paris 13 Atletico, CA Paris, Lusitanos Saint-Maur), principalement dans les divisions régionales, cet ex-défenseur central ou milieu défensif a exercé plusieurs métiers en parallèle du football, notamment comme conseiller en assurance dans la banque d’état portugaise. "Pendant huit ans, j’ai été en costard-cravate. Mais la vie parisienne, métro-boulot-dodo, ne me convenait pas", rapporte cet enfant du XVe arrondissement. "J’y suis né, j’ai été au lycée, à la fac et quand je rentre sur Paris, c’est là où j’habite".

Trois clubs, quatre catégories différentes lors de la même saison

Victime d’une rupture des ligaments croisés en 2011, Frédéric Gonçalves - qui a tenté un retour sur les terrains lors de la saison 2012-2013 - prend un virage trois ans plus tard en devenant éducateur à plein temps. "Mais ça n’a pas été sans effort", témoigne-t-il. "Je me suis retrouvé à entraîner dans trois clubs et quatre catégories différentes (les U9-U10 aux Petits Anges, club basé au pied de la Tour Eiffel, les U13 au Paris Alésia, les U19 aux Lusitanos Saint-Maur). J’avais des séances du lundi au samedi et des compétitions tout le week-end". Des efforts qui ont trouvé leur récompense en s’engageant avec Juvisy pour diriger les U19 nationales. Point de départ de son histoire d’amour avec le football féminin.

Quand vous êtes passé du football masculin à son homologue féminin, avez-vous relevé des différences ?

"Les filles, elles ont le souci du détail. Elles veulent savoir pourquoi elles réalisent tel exercice, pourquoi on leur demande d’exécuter tel geste, telle course… Tactiquement, elles s’imprègnent plus des consignes que tu vas leur transmettre. Elles s’identifient beaucoup plus au projet de jeu que tu veux mettre en place. Je le ressens encore aujourd’hui au Havre. Quand j’entends mes joueuses répondre à des interviews, il y a des mots clés qui ressortent. Après, chez les filles, les émotions sont décuplées. Même quand elles gagnent un match mais qu’elles estiment qu’elles n’ont pas réalisé une belle performance, elles ressortent très frustrées, au point parfois d’être en pleurs. Pour certains garçons, tu as gagné, tu as mis ton petit pont, le match est réussi".

Est-ce qu’on dirige un groupe de joueuses comme on le fait avec des hommes ?

"J'ai moins tendance à aller au clash avec une joueuse qu'avec un garçon. Cette notion de confrontation, je l'évite au maximum"

"L’approche est différente. Pour vous donner un exemple, en tant que technicien masculin, j’ai moins tendance à aller au clash avec une joueuse qu’avec un garçon. Cette notion de confrontation, je l’évite au maximum même s’il m’est déjà arrivé d’être dur dans certains discours. Ça ne vient pas des filles, c’est moi. D’ailleurs, à Saint-Maur, je me souviens que certaines joueuses me demandaient de leur rentrer plus dedans. Maintenant, depuis que je suis au Havre, ma position sur la question a évolué car je vois avant tout mes joueuses comme des sportives de haut niveau. Au HAC, le football, c’est leur métier ; ce qui n’était pas le cas dans mes précédents clubs. Forcément, tu ne peux pas avoir le même degré d’exigence avec une fille qui travaille, qui poursuit ses études, qui se tape deux heures de transport pour s’entraîner".

Ce professionnalisme que vous avez découvert au HAC change-t-il le rapport avec votre groupe ?

"Paradoxalement, en y repensant, j’étais peut-être plus strict à l’époque de la VGA Saint-Maur. Au Havre, les filles sont capables de se prendre en charge. Encore une fois, au-delà de leur passion pour le football, elles sont conscientes que c’est leur métier. A Saint-Maur, si on voulait être performant, il fallait imposer un cadre : la ponctualité, l’obligation de porter les protège-tibias aux entraînements, l’interdiction des boucles d’oreille pour une question de sécurité… Ce sont peut-être des détails mais ils ont leur importance. D’ailleurs, ces règles sont aussi en vigueur au HAC. Entre Saint-Maur et Le Havre, la différence, c’est que quand tu renvoies une fille d’une séance, la sanction fait beaucoup plus mal dans un cas que dans l’autre. Comme je l’expliquais précédemment, à Saint-Maur, certaines filles avaient deux heures de transports en commun aller-retour pour venir. Le message que tu envoies n’est pas le même. D’ailleurs, si à Saint-Maur, je n’hésitais pas à sortir une fille, je ne le fais quasiment jamais au HAC".

En effectuant un recrutement estampillé D2, le HAC a prouvé qu'on pouvait exister dans l'élite du football féminin français avec une équipe composée des meilleurs éléments issus de l'échelon inférieur. ©Damien Deslandes

En tant qu’éducateur, pratique-t-on le même métier chez les féminines que chez les hommes ?

"Quand on me dit que je suis coach d’une équipe féminine, je réponds que je suis entraîneur de football. Et c’est un choix. Je suis très bien en D1 Arkema. Le niveau est de plus en plus élevé. Si je peux continuer dans cette division… Comme chez les garçons, les moyens se développent, les clubs se structurent, les staffs s’étoffent…"

Si demain, on vous proposait de prendre la tête d’une équipe masculine…

"Pour que je bascule chez les garçons, il faudrait vraiment un projet ambitieux"

"Tout dépend du niveau, il faudrait que ce soit au moins en national. Maintenant, pour que je bascule chez les garçons, il faudrait vraiment que le projet soit ambitieux. Aujourd’hui, j’en suis à ma huitième saison consécutive dans le football féminin, j’ai une connaissance assez avancée de ce football. Ça serait dommage de la perdre".

Le HAC constitue un exemple parfait de cette montée en puissance du football féminin…

"On a la chance de se trouver dans un club hyper bien structuré. On a des bons résultats en D1, en U19, chez les petites aussi… Il y a une vraie dynamique de club qui s’est instaurée. Vous vous rendez compte que si on se maintient en D1 et que dans le même temps les garçons montent en Ligue 1 (leader avec huit points d’avance sur le troisième après 28 journées), le HAC sera le sixième club à compter une équipe en première division dans les deux championnats (avec Lyon, le PSG, Montpellier, Reims et Bordeaux)".

Les Havraises peuvent avoir le sourire. En dominant successivement Soyaux puis Rodez, soit les deux équipes en position de relégable début mars, Deja Davis, Sh'nia Gordon et Christy Gavori ont accompli un pas quasi décisif vers leur maintien en D1. ©Damien Deslandes

Vous évoquez une dynamique de club pour la section féminine. De quelle manière se traduit-elle ?

"On sent un véritable engouement derrière notre équipe, de la part de toutes les composantes du club. A commencer par Vincent Volpe (le propriétaire). Il accorde une énorme importance à sa section féminine. Vous vous rendez compte, les filles jouaient déjà au Stade Océane en R1 ! La saison dernière, Vincent Volpe a assisté à tous nos matches à domicile. Il a fait aussi quelques déplacements, comme à Lille. Après le dernier match, contre Vendenheim, qui nous assure la montée, il était très ému, il avait presque les larmes aux yeux. Il y a aussi le président Koci (Jean-Michel Kociszewski, le président de l’association). C’est un fervent défenseur du football féminin. Il m’appelle après chaque match. Le président (Jean-Michel) Roussier (de la SASP) vient aussi nous voir. Tout comme Mathieu Bodmer (le directeur sportif) et son staff, Momo El Kharraze, Julien Momont... Ils suivent nos performances, ils nous félicitent, ils nous aident… On a également le soutien du staff de l’équipe de Ligue 2. Après notre match nul contre le PSG (J4. 2-2, le 2 octobre), Luka Elsner nous a envoyé un message. Je connais son adjoint, Serge Costa. On s’est croisés sur les terrains de U19 nationales, lui entraînait Vendeheim, moi, Juvisy. Quand il est arrivé au Havre, on a tout de suite sympathisé. En plus, on est tous deux d’origine portugaise. Je suis aussi extrêmement bien entouré avec Maxime Diliberto (son adjoint et entraîneur des U19), mon staff technique et médical, le staff des U19, les éducateurs de toutes les équipes… Et puis on a la chance d’avoir quelqu’un comme Laure Lepailleur à la tête de la section. Je n’oublie pas que c’est elle qui est à l’origine de ma venue au Havre. La saison dernière, jusqu’à son accouchement, elle a été très présente à nos côtés. J’étais même obligé de lui dire de freiner car sinon, elle allait accoucher sur le terrain (sourire).

Vous faites référence à votre match nul contre le PSG. Cette performance a marqué les esprits…

"D'ici trois à cinq ans, avec un budget en hausse, pourquoi ne pas viser la troisième place et la Ligue des Champions"

"Faire une perf' contre le PSG, une équipe du Top 5 européen, la seule en France à concurrencer l’ogre lyonnais, avec un effectif composé en majorité de filles venant de D2, alors qu’on est mené 2-0 après 25’… Je sais qu’on a tapé fort dans ce championnat. Même nous, on ne s’y attendait pas. Au regard de la physionomie du match, on pensait plus à en prendre cinq ou six. Après ce match, on a reçu beaucoup d’éloges. Le coach du PSG, Gérard Prêcheur a été grand seigneur. C’est un Monsieur. A la fin, il est venu me voir pour me serrer la main et me féliciter. A sa place, alors que tu vises le titre et que ton équipe vient de réaliser une contre-performance contre un promu, beaucoup ne l’auraient pas fait".

Comment la section féminine du HAC peut-elle encore grandir ?

"Déjà, ça passe par un maintien, notre capacité à laisser deux équipes derrière nous. A l’image de Reims, l’objectif, c’est de s’asseoir progressivement dans cette D1. Pour cela, il faudra qu’on aille recruter de nouvelles joueuses, des joueuses solides. Et peut-être que d’ici trois à cinq ans, avec un budget en hausse, pourquoi ne pas viser la troisième place et la Ligue des Champions".

> D1F. J18 - Le Havre AC (7e - 21 points) / Lyon (1er - 46 points), dimanche 2 avril à 12 H 45 au Stade Océane.

 

Frédéric Gonçalves

> Né le 6 mars 1982 (41 ans) à Paris.

> Ex-défenseur central et milieu défensif. Entraîneur.

> Parcours de joueur : FC Versailles, Paris 13 Atletico, CA Paris, Lusitanos Saint-Maur (niveau régional).

> Parcours d’entraîneur : Juvisy (U19 nationales, 2015-2017), VGA Saint-Maur (D2F, 2017-2018), Thonon Evian Grand-Genève (U19 nationales - responsable de la formation féminine, 2018-2019), Saint-Julien-en-Genevoie (directeur technique, 2018-2019), AC Paris 15 (R3, 2019-2020), Le Havre AC (D2-D1 Féminine, 2021-…).

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