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Julien Momont (HAC) : "La data nous permet de gagner du temps et le temps est une ressource extrêmement précieuse"

Quand un spécialiste de la data, notre chroniqueur Fabien Picquenot alias Stat Malherbe, rencontre un spécialiste de la data, Julien Momont, responsable de ce domaine au HAC, cela donne lieu à un échange passionnant. ©Damien Deslandes

Quand un spécialiste de la data, notre chroniqueur Fabien Picquenot alias Stat Malherbe, rencontre un spécialiste de la data, Julien Momont, responsable de ce domaine au HAC, cela donne lieu à un échange passionnant. ©Damien Deslandes

Pouvez-vous nous donner une définition de la data ?

"La data, avant tout, c’est une information. Une information qui se veut aussi objective que possible parce qu’elle est récoltée à partir de critères précis et immuables dans le temps ; ce qui permet d’établir des éléments de comparaison. Pour utiliser la data, tout part déjà d’une question ou de plusieurs questions. Pour nous rapprocher de la réponse, on a à disposition tout un panel d’éléments. La data est l’un de ces éléments. C’est ainsi qu’on la considère au Havre. La data est présente dans toutes nos décisions sportives mais elle n’est pas la seule composante de ces décisions. Elle fait partie de notre boîte à outils. Parfois, elle est à l’origine d’une idée. A d’autres moments, elle vient confirmer quelque chose qu’on aura observé sur le terrain. Après, quand on parle de l’objectivité de la data, il ne faut pas oublier qu’il existe toujours une part de subjectivité puisque le facteur humain entre en compte. Tout d’abord, avec la personne qui définit les critères de collecte, puis celle qui récolte les données et enfin celle qui les interprète".

"Au Hac, on est le club doyen mais on a aussi envie d'être un club pionnier en la matière"

Si on comprend bien la teneur de vos propos, au HAC, on ne jure pas que par la data ?

"Pas du tout. Mathieu (Bodmer, le directeur sportif) et Mohamed (El Kharraze, le directeur sportif adjoint) sont sensibilisés à cet outil, ils sont ouverts à tout ce que ça peut nous apporter. De son côté, Luka est très demandeur de ces informations mais ils ont tous les trois une expérience dans le foot qui s’est bâtie indépendamment de la data. Ils ont une « science » du foot qui complète la data. Ils ne s’appuient pas seulement sur elle".

Selon vous, un club professionnel peut-il travailler aujourd’hui sans avoir recours à la data ?

"Dans le foot français, il n’y a pas une manière d’appréhender la data. Maintenant, si on ne veut pas prendre un retard stratégique par rapport à nos rivaux anglais, allemands voire même espagnols, il faut investir sur un département data. Je pense que le mouvement va s’accélérer avec l’émergence d’une nouvelle génération de directeurs sportifs, comme Mathieu (Bodmer) chez nous ou Florent Ghisolfi à Lens (à Nice depuis début octobre), et de jeunes entraîneurs qui sont mieux éduqués à cette notion. Tout part également des dirigeants. Au HAC, on a la chance avec Vincent Volpe (propriétaire du club) et Jean-Michel Roussier (président de la SASP) d’avoir des dirigeants très ouverts sur ce sujet. C’est un luxe que les « décideurs » soient convaincus de ce que la data va nous apporter. Au HAC, on est le club doyen mais on a aussi envie d’être un club pionnier en la matière. Beaucoup de clubs de Ligue 1 ont un data analyst ou un data scientist mais est-ce que cela s’inscrit véritablement dans leur politique sportive d’intégrer la data dans toutes leurs décisions ? Ce n’est pas toujours le cas".

Pour Julien Momont, l'utilisation de la data par les clubs français va s'intensifier avec l'émergence d'une nouvelle génération de dirigeants comme Matthieu Bodmer et Florent Ghisolfi (Lens, Nice). ©Damien Deslandes

Quelle est la nature de vos échanges avec le staff et plus particulièrement le coach Luka Elsner ?

"Tout d’abord, via son parcours, Luka est très éduqué à la data. Il a une vraie réflexion sur ce sujet. On fait régulièrement des points pour savoir quels sont ses besoins : en avant-match, en après-match, sur la performance collective, sur le plan individuel... L’objectif, c’est que les données transmises lui servent. Il ne faut pas pondre des rapports de 78 pages pour le plaisir de pondre des rapports de 78 pages. C’est pourquoi il faut déterminer les indicateurs qui permettent d’apporter des réponses aux questions qu’il se pose. Que ce soit pour les pros et les féminines, je fournis des rapports pré-match où l’on retrouve toutes les réponses aux questions qu’un coach peut se poser sur son adversaire : phases de jeu offensives, défensives, transitions, coups de pied arrêtés… Le premier avantage de ces rapports, c’est de ne pas chercher dans 35 sources différentes. Après, l’idée, c’est que les informations soient facilement accessibles pour le coach et son staff. Le but, ce n’est pas de leur faire perdre leur temps. A l’usage, c’est un outil qu’on va resserrer avec les infos qu’ils recherchent en priorité. Encore une fois, la data ne sera pas la seule source de réponse à leurs questions mais elle fera partie d’un panel d’éléments. Après, on peut se demander quel impact la data va avoir au quotidien sur le terrain ? Si on prend l’exemple des transitions offensives, Luka l’a déjà évoqué, on ne se procure pas suffisamment d’occasions sur ces phases de jeu. Une analyse issue du terrain confirmée par les données. Du coup, c’est plus impactant pour les joueurs. Le message passe par les images et les stats".

"Aujourd'hui, on est encore loin de prendre des décisions concrètes pendant un match en se basant uniquement sur des indicateurs provenant de la data"

Est-ce que dans vos analyses post-match, la data est déjà venue contredire le ressenti émanant du terrain de la part du coach et du staff ?

"L’analyse d’un match seulement par la data n’est pas forcément pertinente car il ne faut pas oublier que l’histoire d’un match est faite d’aléas. On peut prendre comme exemple notre victoire 6-0 à Saint-Etienne (le 20 août) où on a joué pendant une heure à onze contre neuf puis durant 30 minutes à onze contre huit. Le contexte de ce match va influer sur la data. Si l’on se fie à la data, on a produit notre meilleur match offensivement et à l’inverse, notre pire en termes d’intensité. Mais en jouant en supériorité numérique, a-t-on eu besoin de mettre autant d’intensité que sur nos autres rencontres ? Maintenant, d’une manière générale, si l’on regarde d’une rencontre à l’autre ce que nous apportent plusieurs indicateurs data, cela correspond assez bien au ressenti du terrain. Le tout étant complété par un travail minutieux d’analyse vidéo".

Pendant un match, tenez-vous un rôle particulier ?

"J’assiste à tous les matches du HAC, à domicile comme à l’extérieur. Je suis en renfort de Clément (Gonin, l’analyste vidéo de l’équipe professionnelle). A la mi-temps, je lui envoie ainsi qu’à Luka les principales statistiques. Clément, lui, descend dans le vestiaire avec plusieurs séquences vidéo de la première période à montrer au coach. Le temps de l’analyse data ne vient qu’après. Aujourd’hui, on est encore loin de prendre des décisions concrètes pendant un match en se basant uniquement sur des indicateurs provenant de la data".

Que ce soit pour les « pros » et les féminines, Julien Momont fournit des rapports pré-match où l’on retrouve toutes les réponses aux questions qu’un coach peut se poser sur son adversaire : phases de jeu offensives, défensives, transitions, coups de pied arrêtés… @Damien Deslandes

Comprenez-vous que certains soient encore réfractaires à l’utilisation de la data ?

"Je ne suis pas là pour juger de la manière de travailler des uns et des autres. Certains arrivent à obtenir des résultats sans. C’est une manière différente de travailler. Selon moi, la data nous permet de gagner du temps et le temps est une ressource extrêmement précieuse dans les clubs de foot, peut-être autant que l’argent. On peut très bien travailler sans mais je trouve dommage de s’en priver.

"ce qui est important de garder à l'esprit, c'est notre style de jeu. C'est le point de départ de l'utilisation de la data"

Estimez-vous prendre de meilleures décisions grâce à la data ?

"J’espère car sinon, ça ne servirait pas grand-chose. L’une des premières choses que Jean-Michel Roussier a déclaré en arrivant au HAC : c’est qu’il fallait se tromper le moins possible, notamment dans le recrutement. Et quand tu n’as pas les moyens d’avoir 50 scouts ou de superviser 25 fois le même joueur, il faut optimiser les moyens (humains et financiers) qui sont à ta disposition. Je me répète mais la data permet de gagner du temps. Elle permet de couvrir plus de zones géographiques, plus de championnats, plus de joueurs…"

Combien de championnats suivez-vous ?

"J’ai envie de répondre tous mais avec une qualité de data différente. Pour ceux qu’on suit avec StatsBomb, le meilleur fournisseur de données à mes yeux, on a des informations plus riches, plus pertinentes. On complète avec Wyscout, une plateforme de vidéos. On ne se ferme aucune porte. On essaye de capter tout ce qui est disponible. Si jamais un jour on nous propose un joueur de D1 bulgare ou vénézuélienne, on aurait déjà des données data et vidéo sur lui. Maintenant, je me répète, la data n’est qu’un élément parmi d’autres du processus de décision, dans le recrutement y compris. Pour le mercato, on s’appuie énormément sur les réseaux de Mathieu, Momo et Luka. C’est un peu comme un système push & pull. Via la data, on va à la fois repérer des joueurs et en confirmer d’autres qu’on nous a conseillés. On n’est pas fermé à un seul process. Les opportunités peuvent surgir de partout. Ce qui est important de garder à l’esprit, c’est notre style de jeu. C’est le point de départ de l’utilisation de la data. Là, je vous parle principalement de recrutement extérieur mais je rappelle que la priorité au HAC consiste à mettre en valeur les jeunes issus de la Cavée Verte".

A l'aide des logiciels StatsBomb et Wyscout, Julien Momont suit un maximum de championnats un peu partout dans le monde. "Si jamais un jour on nous propose un joueur de D1 bulgare ou vénézuélienne, on aurait déjà des données data et vidéo sur lui". ©Damien Deslandes

A quel niveau la data intervient-elle dans la formation ?

"Notre première source de recrutement, c’est la Cavée. Cette saison, en France, on est, avec Bordeaux, l’équipe qui a donné le plus de temps de jeu à des joueurs de 21 ans et moins. Chaque week-end, on a cinq-six titulaires âgés de 20-21 ans. On a des jeunes exceptionnels. C’est le cœur de notre projet sportif. Sur le match amical contre Lens (pendant la trêve Coupe du Monde), plusieurs d’entre eux ont été testés : Mokrane Bentoumi, Antoine Joujou, Mathias Imbert, Melvin Bachelet… Et derrière, il y a Elysée Logbo, Steve Ngoura, Amadou Samoura, Salifou Soumah… Il y a un gros travail de suivi qui a été mis en place autour de nos jeunes et encore, on peut mieux faire. Mathieu et Momo ont mis en place une planification. Ils ont une vision globale sur le club, sur les situations contractuelles, sur les besoins de l’équipe… Ils savent à quelles échéances des jeunes appartenant aux générations 2004, 2005, 2006 et 2007 intégreront l’effectif pro. Il faut veiller à ne pas les bloquer. C’est pourquoi tous les week-ends, on regarde les matches de la réserve (N3), des U19 et des U17. On collecte des données, on fournit quelques éléments objectifs sur la performance, on séquence des actions collectives et individuelles… Le staff pro reçoit tous nos rapports sur les matches de jeunes. Ainsi, quand un jeune monte avec les pros, le staff le connaît déjà.

Pour en revenir au mercato, la data est-elle aussi efficace pour recruter un défenseur qu’un attaquant ?

"Pour les catégories de jeunes, il ne faut pas se lancer dans une course effrénée à vouloir plus de data"

"Ce qui est délicat avec l’analyse data d’un défenseur, c’est qu’il va être performant si des choses ne se produisent pas. S’il est bien placé, la passe ne va pas être donnée, le tir ne va pas être pris… Par essence, la data ne mesure pas ce qui ne s’est pas produit. Après, si l’on prend un indicateur comme les tacles, elle va les mesurer. Mais est-ce qu’un défenseur qui tacle beaucoup est meilleur que l’un de ses homologues qui ne tacle jamais car il est toujours bien placé ? L’analyse d’un défenseur est l’un des axes de progression de la data".

En termes de data, quelle est la prochaine évolution à laquelle on doit s’attendre ?

"Pour moi, il y a deux domaines. Le premier concerne les matches des jeunes. Entre la concurrence et la flambée des prix sur le marché, le foot va être amené à recruter de plus en plus jeune. C’est un enjeu stratégique pour les clubs. Et il y a des plateformes qui commencent à proposer de la data sur ces matches de jeunes. Il y a un mouvement qui tend vers cette direction. La question qu’on peut se poser si on ne suit pas ce mouvement, c’est de savoir si on ne va pas perdre un avantage par rapport à nos concurrents ? Après, est-ce que cette démarche de recruter de plus en plus jeune est saine ? Je pense qu’il faut y aller avec des pincettes. Le développement d’un jeune joueur n’est pas linéaire. Ce n’est pas forcément celui qui est le meilleur à 15-16 ans qui le sera à 20. On a des exemples au Havre de joueurs qui ne jouaient pas la saison dernière qui sont performants aujourd’hui (Yassine Kechta, Josué Casimir). C’est pourquoi, dans ces catégories d’âges, il ne faut pas se lancer dans une course effrénée à vouloir plus de data. Dans quelle mesure, c’est pertinent ? Dans quelle mesure, ces données vont capter un potentiel et pas juste un niveau à l’instant T ?"

Et le second domaine d’évolution ?

"Ça concerne les données tracking (position de chaque joueur et du ballon à chaque instant d’un match). On en est encore qu’à la surface de toutes les informations qu’on peut en retirer. Maintenant, c’est un outil qui est très coûteux en temps, en énergie et en ressources humaines. Pour que vous vous rendiez compte, on dispose de 25 images par seconde par joueur. Ça fait plusieurs millions de points de données à analyser par match. Certains grands clubs, comme le FC Barcelone, sont en avance sur ce sujet".

> L2. J22 - Le Havre AC (1er - 46 points) / Paris FC (13e - 27 points), vendredi 3 février à 20 H 45 au Stade Océane.

Julien Momont, de journaliste à responsable data

Diplômé de l’école supérieure de journalisme de Lille, Julien Momont a travaillé sur L'Equipe 21, beIN Sport, RMC Sport avant de croiser la route de Mathieu Bodmer sur les plateaux de Téléfoot La Chaîne. @Damien Deslandes

Si le visage de Julien Momont vous est familier, c’est normal. De L’Equipe 21 à RMC Sport en passant par beIN Sports, pendant plusieurs années, le responsable data du HAC a officié sur les plateaux TV. Car de formation, le Nordiste est journaliste. D’ailleurs, rien ne le prédestinait à embrasser une seconde carrière au sein d’un club. "C’est venu au fil des saisons, au fur et à mesure que je croisais des anciens joueurs et des entraîneurs dans les émissions, je sentais que ce que je produisais était pertinent à leurs yeux. Même si je ne suis pas issu du foot pro, certains étaient ouverts à la discussion", raconte celui qui a entamé un long processus pour savoir s’il devait franchir le pas. "Quand on travaille dans les médias, on essaye d’expliquer ce qui se déroule sur le terrain, pour ma part avec les images et la data, avec des informations partielles. On ne connaît pas les consignes, on ne sait pas si des événements se sont passés dans la semaine et sont susceptibles d’impacter la performance".

Pour appréhender un peu mieux la différence entre une vision extérieure et une immersion en interne, Julien Momont, dans le cadre de ses recherches pour l’écriture de ses livres (Comment regarder un match de foot ? Comment gagner un match de foot ?), entre en contact avec plusieurs analystes. "Je voulais savoir comment ils bossaient ? Quel était leur quotidien ? Est-ce que j’avais les compétences nécessaires ?"

Rapport sur les adversaires, analyse des matches, recrutement…

C’est une rencontre avec Mathieu Bodmer dans les locaux de Téléfoot La Chaîne, où ils exerçaient tous les deux, qui va le faire définitivement basculer. "On a bien accroché, on a noué une relation enrichissante sur le plan professionnel. Ça a bien matché entre nous". A tel point que l’ex-joueur de Lille, Lyon et du PSG l’associe à son projet de reprise d’un club avec également Jean-Michel Roussier et Mohamed El Kharraze. En juin, les quatre hommes débarquent dans la cité Océane. "J’apprends beaucoup à leurs côtés. Ils ont une expertise dans le foot que je n’ai pas. Je découvre plein de choses". Mais l’ancien étudiant de l’école supérieure de journalisme de Lille apporte largement sa contribution.

Rapport sur les adversaires, analyses des matches des joueurs de Luka Elsner, recrutement… Ses missions sont variées. "Mon rôle consiste à impulser une dynamique de club sur tout ce qui concerne les éléments d’analyse, d’harmoniser notre politique data", explique celui qui intervient sur l’équipe professionnelle, la formation et les féminines. "En fonction de nos moyens, on veut offrir les mêmes outils à toutes les équipes". Et les perspectives de développement sont prometteuses. "A terme, on souhaite engager plus de monde pour travailler à temps plein* sur la data pour fournir des données encore plus individualisées".

*Le HAC compte un analyste vidéo, Clément Gonin, pour son équipe professionnelle, un deuxième, Alexandre Bigouin, pour son centre de formation plus deux stagiaires qui interviennent dans les catégories U17-U19. Chez les féminines, c’est l’adjoint Maxime Diliberto qui se charge de la partie analyse.

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