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Paul Le Guen : "L'histoire du club ne rapporte pas de point" / Pascal Dupraz : "Pour moi, Caen, ce n'est pas un échec"

Avant le derby normand entre le Stade Malherbe et le HAC, nous avons réuni Pascal Dupraz et Paul Le Guen à Deauville pour un entretien croisé. ©Damien Deslandes

Avant le derby normand entre le Stade Malherbe et le HAC, nous avons réuni Pascal Dupraz et Paul Le Guen à Deauville pour un entretien croisé. ©Damien Deslandes

Paul, vous avez déjà officié sur trois derbys normands, et vous Pascal, sur deux. Est-ce que vous ressentez une atmosphère particulière autour de ce match ? 

> PLG : "Je trouve qu’on sent quelque chose. On perçoit une rivalité".

> PD : "On le ressent à travers les messages des supporters. Avant le match aller, on a perçu que ça représentait quelque chose pour eux. Malheureusement, ce derby est galvaudé. Mais ce n’est pas que ce derby. Tous les matches sans supporters n’ont pas la même saveur. On a besoin de ressentir les émotions que nous transmet le public, que ce soient des encouragements ou des sifflets. C’est aussi pour ça qu’on fait ces métiers (joueurs et entraîneurs). On en a besoin. Souvent les résultats s’acquièrent grâce à un supplément d’âme. Et la plupart du temps, il vient des supporters".

> PLG : "C’est tellement mieux avec les supporters. Je suis d’accord avec Pascal. Il manque ce supplément d’âme, ce plaisir d’échanger des émotions avec eux. Leur absence a plein de conséquences. Je trouve que ça expose un peu plus les staffs, les entraîneurs, y compris dans la relation avec leurs joueurs. Il faut être plus en alerte que d’habitude".

> PD : "Je suis complètement d’accord. Chaque mot prononcé est interprété. Même dans le jeu, les joueurs ont compris quand en rajoutant sur un contact, ils obtenaient la faute, un carton jaune plus facilement. On les entend hurler".

Avant ce derby normand, vos deux formations se retrouvent dans une situation comptable similaire (34 points), avec seulement huit longueurs d’avance sur le barragiste (18e) à dix journées du terme. Etes-vous inquiets à l’évocation de cette fin de saison ?

"Après le match aller, on ne pensait vraiment pas se retrouver dans cette position aujourd'hui", Pascal Dupraz

> PD : "En tant que responsable, on se doit d’être inquiet. Pour accrocher le maintien, il y a une barre fatidique et on ne l’a pas franchie. Tant que ça ne sera pas le cas, on est obligés de l’être. Maintenant, il ne faut pas l’être de manière excessive car l’inquiétude engendre de la crispation. Depuis le match aller gagné heureusement (J11. 2-1, le 21 novembre), grâce à un penalty généreux, même si sur la deuxième mi-temps, on s’est employés pour que les Havrais soient en difficulté, on n’avance plus. Au regard de nos matches et de nos contenus jusqu’à ce derby, on ne pensait vraiment pas se retrouver dans cette position aujourd’hui. Depuis, on n’a fait qu’espérer. « Si on gagne ce match, on peut se rapprocher, on peut se rapprocher… » Sauf que ça ne s’est jamais produit".

> PLG : "Je crois que je suis plus inquiet que Pascal, et je le suis depuis plus longtemps. Depuis le début de la saison, je suis assez tendu. Je trouve qu’on a très peu de marge, très peu… On a peu de solutions sur le plan offensif. On est parfois animés d’un sentiment d’impuissance qui engendre cette fameuse crispation dont parlait Pascal. Néanmoins, j’ai bon espoir de s’en sortir. Cette saison s’est mal goupillée. On n’a pas réussi à remplacer ceux qui sont partis de manière satisfaisante (Tino Kadewere, Pape Gueye, Loïc Badé pour ne citer qu’eux). Depuis le début de la saison, on traîne ça. Même si on a réalisé une petite série qui nous a donné un peu d’air (2V-5N entre les 20 et 26e journées), depuis le début, je regarde derrière".

Dans ces conditions, que ce soit pour le Stade Malherbe comme pour le HAC, ce derby normand se révèle extrêmement important…

> PD : "L’équipe qui va gagner va prendre trois bouffées d‘oxygène".

> PLG : "Bien sûr que comptablement, il est important".

> PD : "Quand tu as une trajectoire comme la nôtre, encore plus inquiétante que celle du Havre, tous les prochains matches sont importants. On n’a pas de marge. On manque singulièrement de constance. On est absents dans les surfaces de vérité. C’est pourquoi notre équipe n’avance pas. On se crée des situations mais on ne marque pas et dès qu’il y a un coup franc, une touche, un grain de sable, la machine s’enraye".

Au regard du statut de vos clubs respectifs et aux ambitions qu’on leur prête, à tort ou à raison d’ailleurs, est-ce que vous comprenez que ce discours est difficilement audible par les supporters ?

"Si on se sauve, Clairement, je vous le dis, je serai assez fier", Paul Le Guen

> PLG : "Il y a un décalage entre ce que disent certaines personnes et la réalité. On fait souvent référence à l’histoire du club mais l’histoire ne rapporte pas de point. Je suis d’accord, j’ai participé à la constitution de l’effectif avec les moyens qui sont les nôtres. Vous savez, j’ai proposé des joueurs. Dans les derniers jours du mercato, on avait des solutions. On m’a répondu : « On ne va pas le faire pas pour des raisons… (sous-entendu financières) ». Je le comprends. Derrière, j’écoute les critiques, je les entends, il n’y a aucun problème. Je peux en débattre. Je reconnais qu’on a des difficultés mais je trouve qu’on a du mérite. Et j’ai aussi le droit d’exposer ma façon de penser. Aujourd’hui, je ne vais pas dire : « Le Havre n’est pas à sa place », car ce n’est pas vrai. On s’accroche. Et je me dis que ça aurait pu être pire. Il ne faut pas oublier qu’on a gagné des matches 1-0, un peu à l’arrache. On l’a fait parce qu’à un moment, on a serré les boulons (en mimant le geste). On n’avait pas d’autres alternatives. On nous reproche d’être 13 ou 14e. Mais on peut avoir la satisfaction d’avoir évité de se retrouver dans une situation encore plus préoccupante. Ce n’est pas présomptueux de dire : « Ok, ce n’est pas terrible mais compte tenu d’un ensemble de choses, ça aurait pu être pire ». Jusqu’à présent, on a tenu bon, on a été costauds dans les difficultés. Aujourd’hui, on n’est pas sauvés. Il faut prendre les points nécessaires mais si on se sauve, je vous le dis clairement, je serai assez fier. Je n’ai qu’une envie, c’est qu’on soit en Ligue 2 la saison prochaine en assurant un maintien sans être angoissé jusqu’à la dernière journée. J’ai conscience que c’est en complet décalage avec les attentes des supporters".

Malgré la 12e place au classement du SMC, Pascal Dupraz ne veut pas entendre parler d'échec. La raison ? "A leur arrivée, mes dirigeants ne m'ont pas fixé d’objectif. Ça veut bien dire qu’eux aussi étaient certainement dans le tâtonnement".

Pascal Dupraz : "La seule chose que je peux me dire, après coup, c’est est-ce j’ai bien fait d’accepter de venir à Caen il y a un an et demi ?"

Pascal, à Caen, vous êtes, vous aussi, confronté à ce décalage entre les attentes des supporters et la réalité du terrain…

> PD : "Tout ce que je peux déclarer à ce sujet, c’est qu’on ne peut pas dire que j’ai eu beaucoup d’impact sur le recrutement depuis que je suis là (octobre 2019). Il n’y en a quasiment pas eu. Avec le rachat du club (par le fonds d’investissement américain Oaktree et le producteur de TV trouvillais Pierre-Antoine Capton), on n’a recruté qu’en octobre. Je ne peux pas dire que je n’ai pas été consulté sur les quelques joueurs qui sont arrivés mais j’en avais très clairement ciblé six : un gardien, un défenseur central, un latéral gauche, un milieu de terrain et deux attaquants de couloir. Quand le Stade Malherbe est descendu en Ligue 2 (en 2018), il a choisi un entraîneur (Rui Almeida) qui avait un système de jeu. Ce dernier a eu un impact avec le directeur sportif (Yohan Eudeline) sur le recrutement. J’ai hérité de cet effectif. Attention, je suis très heureux de coacher ces joueurs mais ça ne correspond pas à ma philosophie. Comme on a été très peu renforcés la saison dernière, j’ai procédé à un large brassage de l’effectif. Ça me plaît, je suis un bâtisseur. A Caen, je supervise 55 joueurs à qui on prodigue les mêmes séances, les mêmes contenus. Et ça donne l’apparition de jeunes joueurs. Mais un jeune joueur, c’est avec ses qualités et ses défauts qu’il faut le considérer, sa progression n’est pas terminée, donc son apprentissage n’est pas linéaire. Il peut signer un super match et derrière réaliser quelques productions moyennes. Mais il gagne en constance. Personnellement, Caen, ce n’est pas un échec car quand nos dirigeants sont arrivés (dont le président Olivier Pickeu), ils ne nous ont pas fixé d’objectif. Ça veut bien dire qu’eux aussi étaient certainement dans le tâtonnement. La seule chose que je peux me dire, après coup, c’est est-ce j’ai bien fait d’accepter de venir à Caen il y a un an et demi ? Je ne savais pas que le club rencontrait des problèmes financiers. Je ne savais pas que le club n’allait pas recruter en janvier (2020) ni l’été suivant et attendre octobre de cette saison pour à peine recruter".

 

Malgré l’absence de résultats, prenez-vous du plaisir à exercer votre métier d’entraîneur ? N’étiez-vous pas plus tranquille quand vous étiez consultant TV ?

> PLG : "Oui, je prends du plaisir. Je suis content d’être au Havre. Et jamais ça ne m’a effleuré l’esprit de me dire que j’étais plus tranquille comme consultant TV. Il vaut mieux faire que de commenter sans cesse ceux qui font. Je peux vous assurer, et je suis sûr que c’est la même chose pour Pascal, qu’on fait ce métier de manière engagée".

> PD : "Je suis absolument d’accord avec Paul. J’aime le foot. Quand je suis consultant, c’est un pauvre palliatif par rapport à ce que je ressens quand je suis coach. Je revendique le fait d’aimer le football. C’est la passion du foot du terrain qui nous anime tous. Et quand on occupe ce rôle, on est aussi là pour assumer même en cas de mauvais résultats. Il faut relever le gant aussi. Il y a beaucoup de mes collègues, bien plus prestigieux et meilleurs que moi, qui n’ont pas de poste actuellement. Je suis très heureux d’être à Caen. Maintenant, tous autant que nous sommes, il faut aussi relativiser. Ce n’est pas pour rien qu’on dit « Jouer au football ». Bien sûr, c’est très important, des gens vivent de ça, je pense à tous nos salariés, à tous nos supporters. Maintenant, supporter le club, ça ne donne pas tous les droits non plus".

Paul Le Guen : "Je n'ai aucun problème avec mon président"

Paul Le Guen a parfaitement conscience que les objectifs fixés au HAC en cette fin de saison sont en complet décalage avec les attentes des supporters. ©Damien Deslandes

Outre l'absence de résultats et une qualité de jeu qu'on va qualifier de moyenne, au Havre, la frustration des supporters provient aussi des discours différents entre Vincent Volpe et Paul Le Guen, notamment sur les moyens financiers mis à disposition du club doyen. Alors que le président havrais a toujours affirmé publiquement que l'argent ne constituait pas un problème, son entraîneur laisse sous-entendre le contraire, en raison principalement du contexte sanitaire (huis clos, absence de recettes liées au « match day »...). Pourtant, le coach breton l'assure : "Je n'ai aucun problème avec mon président. On s'entend bien. Les choses sont claires entre nous". Pourquoi alors une telle contradiction ? "Je crois qu'il va bientôt le dire (sous-entendu la même version que lui)", lance Paul Le Guen.

Vous Pascal, à Caen, vous vous retrouvez en première ligne. Depuis quelques mois, c’est vous qui prenez les coups…

"Je prends les coups ? C'est ainsi, Ça arrange tout le monde", Pascal Dupraz

> PD : "C’est ainsi, ça arrange tout le monde. De toute façon, je ne lis pas tout ce qu’il se dit sur moi. J’ai des lanceurs d’alerte, mes deux fils. Ils me préviennent. Ils me disent : « Tu ne devrais pas lire ça »

> PLG : "Mon fils aussi me protège. Par contre, moi, je lis la presse mais en relativisant. Dans ce domaine, j’ai commis des erreurs par le passé, j’ai été trop… (il ne termine pas sa phrase). Aujourd’hui, j’ai plus de recul, de détachement par rapport aux médias. C’est le privilège de l’âge. Avec le temps, on se rend compte que ce qui s’écrit sur nous n’a pas une importance considérable".

> PD : "Et puis ça n’a une durée de vie que de 24 heures".

Vous, Pascal, à Caen, vous vous retrouvez en première ligne. Depuis quelques mois, c’est vous qui prenez les coups…

> PD : "C’est comme ça, ça arrange tout le monde. De toute façon, je ne lis pas tout ce qu’il se dit sur moi. J’ai des lanceurs d’alerte, mes deux fils. Ils me préviennent. Ils me disent : « Tu ne devrais pas lire ça »

> PLG : "Mon fils aussi me protège. Par contre, moi, je lis la presse mais en relativisant. Dans ce domaine, j’ai commis des erreurs par le passé, j’ai été trop… (il ne termine pas sa phrase). Aujourd’hui, j’ai plus de recul, de détachement par rapport aux médias. C’est le privilège de l’âge. Avec le temps, on se rend compte que ce qui s’écrit sur nous n’a pas une importance considérable".

> PD : "Et puis ça n’a une durée de vie que de 24 heures".

Dans ces conditions, est-ce que vous pensez qu’il est toujours possible, dans ce football d’aujourd’hui, de vous inscrire dans un projet à long terme ?

"Est-ce que ça m'est venu à l'idée de démissionner ? Eh bien non", Paul Le Guen

> PLG : "Je rappelle que j’ai prolongé de deux ans l’été dernier (il se trouve sous contrat jusqu’en 2023). J’ai très envie de rester au Havre. Récemment, en conférence de presse, un journaliste m’a demandé si ça ne m’était pas venu à l’idée de démissionner comme Julien Stéphan à Rennes ? Eh bien non. Mes dirigeants me laissent le temps de travailler. Je pense qu’on peut atteindre nos objectifs mais tranquillement, en prenant les bonnes décisions au fur et à mesure".

> PD : "Moi, quand j’ai signé à Caen, je pensais m’inscrire dans la durée. Vraiment. Si l’objectif est de briguer la Ligue 1 avec le Stade Malherbe, je suis convaincu d’être l’homme de la situation. Après, il faut que les planètes soient alignées. Il y a des exemples qui nous prouvent que c’est possible comme le SCO d’Angers (où le coach Stéphane Moulin est en poste depuis 2011). Pour moi, c’est l’incarnation d’un projet bien senti, qui se structure progressivement, en faisant confiance aux hommes en place. C’est un exemple de longévité et de stabilité qui gagne. Par contre, quand vous changez d’entraîneur tous les six mois ou tous les ans… Il faut aussi penser aux joueurs qui doivent désapprendre avant d’apprendre de nouveau. On leur demande beaucoup à ces joueurs".

Serez-vous toujours en poste dans vos clubs respectifs, le HAC et le Stade Malherbe, la saison prochaine ?

> PLG : "Sans aucune ambiguïté, oui".

> PD : "Pour qu’un coach reste, il faut que deux parties s’entendent. Moi, je ne représente qu’une de ces parties. Je vais être à l’écoute de l’autre partie".

*La rédaction de FOOT NORMAND remercie la ville de Deauville et la Communauté de communes Cœur Côte Fleurie de nous avoir accueilli pour l’organisation de cet entretien croisé entre Paul Le Guen et Pascal Dupraz.

Pour Pascal Dupraz comme pour Paul Le Guen, le derby normand entre le Stade Malherbe et le HAC va avoir une grande importance sur le plan comptable alors qu'aucune des deux équipes n'aient encore sauvé. ©Damien Deslandes

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