Foot Normand
Coupe de France féminine. 1er tour fédéral - SM Caen (D3) / Paris So Cœur (R1)

Du Kosovo à Malherbe, l'odyssée d'Erëza Sinani

Née au Kosovo, Erëza Sinani a traversé plusieurs pays pour rejoindre la France à l'âge de 11 ans. Formée à QRM puis passée par le FC Rouen, la milieu de terrain a rejoint le Stade Malherbe l'été dernier pour vivre l'un de ses rêves : jouer en D3. Découvrez sa fabuleuse histoire.

Erëza Sinani sous ses nouvelles couleurs du Stade Malherbe, un club qu'elle a rejoint cet été en provenance du FC Rouen. ©Antonin Cathrine / SM Caen

Elle est de celles qui marquent un vestiaire. Une rencontre qui frappe les esprits. La vie d'Erëza Sinani est loin d'être un long fleuve tranquille. Originaire de Pristina, la capitale du Kosovo, la jeune femme a quitté son pays natal dès l'âge de 11 ans, aux côtés de son père, Nexhmedin. Sa maman, Lirije, était partie un mois plus tôt avec sa petite sœur, Aulona, et son petit frère, Olti. Cap à l'Europe et plus précisément la France. 2 000 km séparent les deux territoires. "On a traversé plusieurs pays, parfois en transport, mais aussi à pied", témoigne la milieu de terrain du Stade Malherbe, arrivée l'été dernier. Si elle ne se souvient pas du nombre de kilomètres parcourus à la force de ses jambes, elle se rappelle être passée par la Hongrie et devant l'Allianz Arena, l'un des temples du football allemand, à Munich.

Cette odyssée ne s'est pas déroulée sans encombre. Sur le chemin, des voyageurs ont emmené la famille Sinani à droite, à gauche. Elle mangeait ce qu'elle trouvait. Chaque passage de frontière a été une étape pour échapper à la vigilance de la police. Quelques gardes à vue ont été inévitables. "Dans une prison, je me souviens ne pas avoir vu le jour pendant 24 heures. C'étaient les 24 heures les plus longues de ma vie. Avoir été une enfant nous a aidés à sortir", glisse-t-elle. Erëza a connu tout ce qu'une enfant de 11 ans ne devrait jamais vivre. "Une expérience", explique-t-elle. "Je ne me rends pas toujours compte de ce que j'ai vécu. Pour moi, c'était normal de traverser plusieurs pays. Je n'ai pas de traumatisme particulier"

"Dans une prison, je me souviens ne pas avoir vu le jour pendant 24 heures"

C'est à Lyon qu'elle a posé son premier pied en France, avant de rejoindre aussitôt le reste des siens à Rouen. Sans papiers, mais inscrite à France Terre d'Asile (organisme qui aide les migrants à se loger), la famille Sinani a composé avec les moyens du bord. Leur premier domicile se situait à Petit-Quevilly, dans l'agglomération rouennaise. Déjà mordue de football, passion qu'elle a découvert "dans son jardin et à l'école" dans son pays, malgré les inquiétudes de sa maman, Erëza Sinani a rejoint la section féminine de QRM, en 2014. "J'avais supplié mon père pour y aller. Le fait qu'on soit en France a rassuré ma mère. C'était plus sécurisé de jouer au foot ici qu'au Kosovo". Elle était aussi scolarisée au collège Diderot de Petit-Quevilly. Mais plusieurs fois, sa vie a viré au cauchemar.

Le Stade Malherbe d'Erëza Sinani reste, toutes compétitions confondues, sur quatre victoires en cinq matchs, dont deux clean sheets. ©Antonin Cathrine / SM Caen

La mobilisation des enseignants du collège Diderot

A l'âge de 12 ans, la nouvelle joueuse du SMC a été bousculée par une voiture à la sortie de l'école. Bien qu'inconsciente pendant deux minutes, ses jours n'ont pas été pas en danger. Quelques mois plus tard, sa famille a été placée sous OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Une vague de soutien s'est alors mise en place sous l'impulsion des enseignants du collège Diderot et de quelques connaissances. Certains les ont même hébergés. Une cagnotte avait même été lancée pour les aider. "Le principal était d'avoir un toit. On a eu de la chance d'être accueillis par des gens humains. Je veux remercier les professeurs du collège Diderot, Virginie Correa (une amie de ma maman), les amis qui ont été derrière moi, et Jean-Claude Fily, mon papy adoptif", témoigne-t-elle. "Sans eux, je ne sais pas ce que je serais devenue". C'est seulement huit ans après son arrivée dans l'Hexagone qu'Erëza Sinani a commencé à voir la lumière au bout du tunnel, en obtenant la nationalité française. "Ça a changé ma vie !"

"Stéphane (Arnold) a été honnête alors qu'il voulait me garder. C'est un homme extraordinaire"

Inutile d'expliquer le caractère bien trempé de la n°22 des « Rouge et Bleu ». Son passé y est pour beaucoup. Sa vie a été une épreuve. Sur le terrain, elle se bat, motive les troupes et vit chaque match comme un défi. Elle est capable de se rouler par terre pour son équipe, jusqu'à mettre les gants quand son équipe en a besoin (en septembre, la gardienne Khady Gueye avait été expulsée en fin de match contre Bourges. Erëza Sinani l'avait remplacée dans les cages pour les cinq dernières minutes). Elle a toujours été nerveuse et bagarreuse, mais depuis son passage au FC Rouen et son arrivée au Stade Malherbe à l'été 2025, la native de Pristina assure avoir franchi un cap mental. "Avant, je n'acceptais pas le fait de me faire titiller. Dès qu'il y avait une faute, je voulais montrer que j'étais là. Ça pouvait partir. Maintenant, je passe à autre chose. Plus je vieillis, plus je m'adoucis", plaisante-t-elle du haut de ses 24 ans. Mais son histoire personnelle a certainement eu un avantage. Celui de grandir plus vite que les autres.

Revenons quelques mois en arrière, Erëza Sinani n'aurait jamais imaginé quitté le FC Rouen ; un club qu'elle avait rejoint en 2022. Capitaine des « Diables Rouges », elle y avait sa place en tant que cadre et titulaire chaque week-end. Elle y avait vécu aussi des émotions fortes, avec les barrages d'accession vers la D3, qui n'ont finalement pas été fructueux. Au mois de juin, le coup de fil d'un certain Tristan Blanchard, le nouveau coach caennais, a tout changé. "J'ai écouté. J'ai pesé le pour et le contre et finalement, je me suis dit que c'était le moment de sortir de ma zone de confort". Confort ? C'est pourtant après ça qu'elle a couru depuis son arrivée en France. Mais le football a pris une place importante dans sa vie et découvrir le niveau national lui a fait de l’œil. Elle a également été bien accompagnée et conseillée par Stéphane Arnold, son entraîneur au FCR. "Je lui ai demandé ce qu'il aurait fait à ma place. Il m'a dit qu'il partirait. Il a été honnête alors qu'il voulait me garder. C'est un homme extraordinaire. Il prend toujours de mes nouvelles, que l'on gagne ou que l'on perde".

Nouveau club, nouvelle ville, nouvelles coéquipières... Erëza Sinani s'est parfaitement intégrée à sa nouvelle vie caennaise. ©Antonin Cathrine / SM Caen

Vivre des émotions en Coupe de France

Nouveau club, nouvelle ville, nouveaux repères. Erëza Sinani s'est parfaitement adaptée à sa nouvelle vie. Elle est d'ailleurs l'une des seules joueuses caennaises à être titulaire depuis le début de la saison. Sarcelles, Saint-Maur, La Roche-sur-Yon, Bourges, Brequigny ou encore Orléans, la jeune milieu a toujours débuté les rencontres. Preuve qu'elle a trouvé son équilibre. "Je me sens très bien ici. Le coach me fait confiance. Je découvre d'autres manières de me déplacer. J'ai l'impression de progresser", souligne celle qui est souvent associée à Ines Brahmia-Erhel dans le cœur du jeu. Très à l'aise techniquement, elle a aussi trouvé chaussure à son pied dans le projet malherbiste.

"Je me régale. Je suis dans une équipe qui joue énormément au ballon. C'est exactement ce que je voulais. Le jeu direct, ce n'est pas mon truc. J'ai besoin de toucher le ballon régulièrement pour aider le collectif, pas forcément pour marquer". Si elle regrette quelques rendez-vous manqués en début de championnat (face à Bréquigny et Bourges), elle profite de la dynamique collective actuelle malgré le revers logique encaissé contre Roubaix, leader de la poule, le 9 novembre (4-1). Toutes compétitions confondues, le SMC reste sur quatre victoires en cinq matchs, dont deux clean sheets en D3 (4-0 et 3-0 respectivement contre Sarcelles et contre Orléans). "On est en pleine bourre, ça va être dur de nous arrêter", glisse l'aînée de la fratrie Sinani, sans manquer d'humilité. 

"Aujourd'hui, je considère ma vie luxueuse. Je ne suis pas la plus riche ni la plus pauvre, mais je suis heureuse"

Si l'objectif est de se maintenir pour sa première expérience en D3, Erëza Sinani se laisse le droit de rêver en Coupe de France, elle qui n'est jamais dépassée le 1er tour fédéral. Les « Rouge et Bleu » sont d'ailleurs qualifiées à ce stade de la compétition et devront se débarrasser, ce dimanche, de Paris So Cœur, deuxième de sa poule R1 dans la ligue très relevée d'Ile-de-France. "Je veux passer le plus de tours possibles. La Coupe de France, ce sont les émotions. Que tu gagnes contre une R1 ou une D2, tu vibres". Désormais, elle profite de ce qui lui est offert, ou plutôt, de ce qu'elle est venue chercher. "Aujourd'hui, je considère ma vie luxueuse. Je ne suis pas la plus riche ni la plus pauvre, mais je suis heureuse. J'ai vécu des choses que je n'aurais pas dû vivre, mais je n'avais pas le choix".

> Coupe de France féminine. 1er tour fédéral - SM Caen (D3) / Paris So Cœur (R1), dimanche 23 novembre à 14 H 30 au Stade de Venoix-Claude-Mercier.

Léa QUINIO

Quitter la version mobile