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"La seule valorisation qui compte, ce sont les garçons foulant la pelouse de d'Ornano"

Ne souhaitant pas perdre le contact avec le terrain malgré sa fonction de directeur de centre, Stéphane Nado se joint de temps en temps à son équipe technique pour encadrer quelques séances.

Ne souhaitant pas perdre le contact avec le terrain malgré sa fonction de directeur de centre, Stéphane Nado se joint de temps en temps à son équipe technique pour encadrer quelques séances.

Un peu plus de huit mois après votre nomination à la tête du centre de formation du Stade Malherbe, quels sont les premiers constats que vous avez tirés ?

"La première chose que je peux dire, c'est qu'on a des joueurs de qualité. Depuis mon arrivée, il y a eu, bien entendu, une phase de découverte et d'observation importante pour comprendre l'organisation du centre, découvrir les infrastructures, connaître le personnel… Le rôle d'un directeur, c'est de rassembler tout le monde derrière un projet. A Caen, il y a une base qui est reconnue depuis longtemps. Mais il y a aussi une marge de progression. Je suis arrivé avec une vision très précise de ce que doit être un centre de formation de haut niveau, voire de très haut niveau. Et à mon sens, il manquait des choses et il en manque encore".

Avez-vous déjà mis certaines de vos idées en place ?

"On veut s'implanter sur les secteurs d'Angers, de rennes, du Mans en plus de la région parisienne"

"Au centre, tout le monde est équipé de GPS, des U16 à la réserve, y compris les gardiens, soit environ une soixantaine de garçons ; ce qui nous permet de quantifier la charge d'entraînement. Sur certains mardis après-midi, on a instauré des séances élites réunissant les joueurs les plus performants en U19 ainsi qu'en réserve, les néo-pros et quelques professionnels comme ceux revenant de blessure. Cela représente un groupe de 16-18 joueurs. Elles sont dirigées par Fabien (Mercadal) ou par l'un de ses adjoints, Fabrice (Vandeputte) et Michel (Audrain). D'une manière générale, on est en pleine réflexion sur l'organisation des entraînements de nos jeunes. On voudrait rassembler plusieurs fois par semaine nos meilleurs jeunes ainsi que ceux qui le méritent, toutes catégories confondues, des U16 à la réserve. On veut tendre vers plus de qualitatif, plus de spécialisation, plus d'individualisation… On pense que cela pourrait favoriser une progression plus rapide de nos garçons. Une psychologue du sport, Aurélie Yahiaoui, nous a aussi rejoints depuis janvier. Cette personne a la capacité d'accompagner nos joueurs vers la performance de haut niveau. Pour les jeunes qui le souhaitent, elle les reçoit, un mercredi sur deux, pour discuter autour de sujets sportifs ou personnels. Ça rentre dans le cadre de l'épanouissement de chacun".

Arnaud Tanguy (le directeur général du SMC) nous évoquait également récemment l'élargissement de la cellule de recrutement du centre…

"On a augmenté notre nombre de scouts en passant de deux à huit. C'était un manque déjà identifié par le club avant mon arrivée. Ce nombre correspond à une véritable stratégie, notamment sur le territoire normand. J'aimerais qu'on augmente le pourcentage de joueurs régionaux. On n'en a pas assez même s'il faut bien être conscient qu'on se trouve dans un bassin de population foot limité. La Ligue de Normandie est l'avant-dernière en nombre de licenciés. C'est pourquoi, on veut s'étendre sur les secteurs d'Angers, de Rennes, du Mans en plus de la région parisienne où le club était déjà implanté. Maintenant, ça n'a pas de sens d'aller chercher un garçon à Marseille, Bordeaux ou Strasbourg… Et pourtant, on est énormément sollicités. Je reçois des piles et des piles de candidatures. La proximité avec la cellule familiale est l'un des principaux critères de la réussite sportive et de l'épanouissement d'un joueur. Bien sûr, il existe toujours des exceptions. Si demain, un garçon hors secteur arrive avec un potentiel important, on ne va pas le refuser".

"Se rapprocher des clubs amateurs de Normandie"

Si vous allez prospecter sur de nouveaux territoires, l'inverse est également vrai. En Normandie, le Stade Malherbe subit de plus en plus de concurrence…

"Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'on se trouve dans un système à l'échelle européenne ultra-concurrentiel. Sur le territoire de la Normandie, nos concurrents sont très simples à identifier. Il y a notre voisin du Havre, Angers, Nantes, Rennes et Guingamp voire Brest qui chasse un peu dans la Manche. Bien sûr qu'on souhaite qu'aucun joueur normand ne nous échappe. C'est pourquoi la volonté du directoire, du président (Gilles Sergent) et de tout le monde à Malherbe est de se rapprocher des clubs amateurs de Caen, du Calvados et plus largement de la Normandie. Sans les clubs amateurs, on n'existe pas. Est-ce qu'on a du retard dans ce domaine ? J'ai cru comprendre que ces partenariats avec les clubs régionaux avaient été mis en sommeil ces deux-trois dernières saisons. En tant que structure professionnelle, il faut qu'on soit capable de rendre aux clubs amateurs ce qu'ils nous apportent. Maintenant, il ne faut pas oublier que la décision finale, elle appartient au jeune et à sa famille".

Vous évoquez la concurrence européenne. Le Stade Malherbe en a été victime l'été dernier avec le départ de Kevin Monzialo (19 ans) à la Juventus Turin. Le club normand possède-t-il les armes pour se protéger de cette « menace » ?

"De temps en temps, il ne faut pas avoir peur de perdre un joueur. Il ne faut pas tomber dans la surenchère"

"On doit, bien entendu, sécuriser nos meilleurs joueurs. C'est d'ailleurs un processus qu'on a entamé dès fin août-début septembre. Maintenant, il y aura toujours des cas comme celui de Kevin Monzialo. Parfois, on n'aura pas la capacité de retenir un garçon mais ça peut être aussi un choix, une volonté affirmée du club de le laisser partir. Soit parce qu'on estime qu'il a des manques, qu'il ne correspond pas à nos valeurs ou qu'on a plus performant que lui. De temps en temps, il ne faut pas avoir peur de perdre un joueur. Je lui souhaite de réussir sa carrière mais ce n'est pas parce que Kevin Monzialo a signé à la Juventus qu'il va percer. Il ne faut pas tomber dans la surenchère. L'institution doit se montrer plus forte. Aujourd'hui, les joueurs et leur entourage veulent tous des contrats pros, et le plus tôt possible. On est sollicités tous les jours. Mais on ne donnera pas de contrats à tout le monde". 

A l'inverse, récemment, plusieurs pensionnaires du centre ont signé leur premier contrat professionnel avec le Stade Malherbe : Evens Joseph, Brice Tutu et Marvin Golitin(1). Alors qu'ils évoluent cette saison pour la plupart majoritairement avec la réserve en N3, peut-on imaginer une étape intermédiaire, avec un prêt en National, avant de les intégrer définitivement au groupe professionnel ?

"Bien sûr, c'est évident. Aujourd'hui, ces garçons - qui possèdent une marge de progression importante - ne sont pas forcément prêts à évoluer en Ligue 1. Pour franchir encore des paliers, la stratégie du prêt prend tout son sens. Le National est un championnat difficile et exigeant. On pourrait trouver 1 000 exemples de garçons passés par le National qui ont fait de grandes carrières derrière. Spontanément, le nom d'André-Pierre Gignac me vient en tête (prêté à Pau par Lorient en 2005-2006). Un partenariat avec Avranches et Quevilly-Rouen ? Même si on sort de mon domaine de compétences, comme on a deux clubs qui travaillent bien à proximité de chez nous, autant leur prêter nos garçons s'ils sont intéressés. J'ai plutôt envie qu'on valorise ces clubs".

"La stratégie du prêt en National a tout son sens"

A l'image d'un Cheick Traoré (24 ans) qui évolue, aujourd'hui, à Guingamp (20 apparitions en Ligue 1 dont 16 titularisations), certains garçons passés par le centre de formation du SMC se révèlent plus tardivement au haut niveau, parfois après plusieurs saisons en N1 et L2. Faut-il se montrer plus patient avec ce profil de joueurs ?

"Je pense qu'en France, on se trompe car on prend en référence des phénomènes qui ont débuté à 16, 17 ou 18 ans. Tout le monde les connaît : les Mbappé, Benzema, Varane… En France, si le gamin ne joue pas en Ligue 1 à 19 ans, on pense qu'il n'y arrivera pas. Je n'ai pas ce degré de lecture. Personnellement, ça ne me choque pas de garder un joueur, peu importe la forme du contrat, professionnel ou amateur, jusqu'à 23-24 ans si on croit en lui. Tout le monde n'a pas un parcours linéaire. Certains peuvent avoir une maturité plus tardive. A nous de convaincre le joueur de notre projet. Les Espagnols l'ont très bien compris. J'ai l'exemple d'un garçon, Robin Le Normand, que j'ai connu à Brest où il n'a pas été gardé en 2016 à l'issue de son contrat stagiaire. Il a signé pro à la Real Sociedad. Dans un premier temps, il a intégré la réserve(2) où il était quasiment le plus jeune alors qu'il avait presque 20 ans. Et cette saison, il vient de disputer une demi-douzaine de matches avec l'équipe première entre le championnat et la Coupe du Roi".

Les règlements avec un premier contrat professionnel limité à trois ans protègent-ils suffisamment les clubs ?

"Quand même incroyable qu'on ne parvienne pas à sécuriser les clubs qui s'engagent dans la formation"

"C'est vrai que ce premier contrat pro peut constituer un facteur bloquant. Trois ans, ça passe vite et un club peut rapidement se retrouver en difficulté vis-à-vis d'un joueur. Depuis des mois voire des années, les différents acteurs du football français sont en négociations pour augmenter sa durée et le passer à cinq ans. Mais il n'y a aucun accord. C'est quand même incroyable qu'on ne parvienne pas à sécuriser les clubs qui s'engagent dans un véritable processus de formation. A cause de cette guéguerre franco-française, on se retrouve encore plus exposés à la concurrence des grosses écuries européennes qui disposent de moyens financiers énormes".

En termes de jeu, en quoi consiste la patte Stéphane Nado ?

"J'aime le jeu et voir bien jouer mes équipes. C'est une idée commune que toutes nos équipes doivent partager. Je parle de prendre le ballon, d'imposer son jeu à l'adversaire plutôt que de subir. Je veux qu'on reparte de derrière. Je déteste voir mon gardien dégager à outrance. Ça me fait sortir de moi. C'est quelque chose qui me met en furie".

"Je me battrai toujours contre la championnite"

Cette philosophie de possession chez les jeunes n'est-elle pas contradictoire avec les exigences du plus haut niveau chez les professionnels, notamment dans un club comme le SM Caen qui est loin de dominer tous ses adversaires en Ligue 1 ?

"Je comprends ce décalage. Les garçons sont habitués à jouer la tête de leur championnat et quand ils arrivent avec l'effectif pro, on vise plutôt le maintien. Maintenant, on inculque aussi à nos jeunes sur le plan mental des valeurs de compétiteurs, indispensables au plus haut niveau. Quand vous prenez les top joueurs mondiaux, ce sont tous des grands compétiteurs. Et sur le plan du jeu, on ne se concentre pas uniquement sur la possession. On travaille sur la capacité individuelle et collective à gagner des duels, à récupérer le ballon ensemble dès la perte, à presser haut…".

Assurés de terminer en tête de leur groupe, les U19 viennent de se qualifier pour la deuxième année consécutive pour les play-offs. Troisièmes à trois points du leader lillois, les U17 sont toujours en course pour les imiter. Depuis plusieurs saisons, les résultats sont excellents dans ces catégories. Quelle importance leur accorder ?

"Ce n'est pas parce qu'un joueur est appelé en équipe de France jeunes qu'il va devenir professionnel"

"Même si ces résultats font plaisir à tout le monde, il faut les pondérer. Etre premier en U17 ou en U19 ne nous donne, encore une fois, aucune garantie. Je me battrai toujours contre la « championnite ». Bien sûr, si à trois-quatre journées de la fin, on est en mesure de se qualifier pour des play-offs, on pourra aligner la meilleure équipe possible car des performances dans ces catégories valorisent le centre. Mais la seule et vraie valorisation qui compte pour notre formation, ce sont les garçons qu'on arrive à sécuriser sous contrat et qui foulent la pelouse de d'Ornano. C'est un discours que les éducateurs entendent parfaitement".

Lors de sa première conférence de presse, en mai 2018, le président Gilles Sergent avait érigé la formation comme l'une de ses priorités. Au dernier classement de la Direction technique nationale (DTN), le centre du Stade Malherbe a, d'ailleurs, intégré le Top 15 (avec une 12e place sur 36 structures agréées, 18e en 2017, 25 en 2016) ; ce qui était l'objectif initial du directoire…

"Pour être honnête, j'attache peu d'importance à ce classement. Il faut le relativiser. C'est certain que c'est mieux d'être bien classé. A travers ce cahier des charges, notre position prouve la qualité de notre structure. Mais ça ne sert à rien de jouer la gloriole. Comme c'est un classement qui englobe plusieurs critères(3), ça ne nous donne aucune garantie. Si vous prenez l'exemple des sélections en équipe de France jeunes, ce n'est pas parce qu'un joueur est appelé qu'il va obligatoirement devenir professionnel. Ce classement n'est pas révélateur du nombre de joueurs pros qu'on va sortir. Ce n'est pas parce qu'on est 9e, 12e ou 15e qu'un jeune va décider de rejoindre notre centre de formation plutôt qu'un autre. Ce n'est pas un indicateur déterminant dans le choix des familles".

Alors que le centre de formation du SMC est repassé en catégorie 1 depuis la fin de l'année 2016, une nouvelle catégorie, avec un cahier des charges encore plus drastique, va voir le jour à partir du 1er juillet 2019 : Prestige. Est-ce que le club caennais a l'ambition d'y candidater et les moyens pour y accéder ?

"On a entamé une véritable réflexion à ce sujet. Sur le plan médical et en terme d'encadrement technique, l'exigence est relevée d'un cran. Pour les responsables des différentes catégories, il est demandé un niveau de diplôme supérieur. Concernant le médecin et les kinés, le volume d'heures et beaucoup plus conséquent. Il faudrait passer avec du personnel à temps plein. Ça représente forcément un coût financier. Pour moi, maximum une douzaine de clubs peuvent prétendre à ce statut. Et encore, je suis large. Parmi eux, seuls cinq-six iront le chercher. Personnellement, j'y suis assez favorable.  Tout d'abord, parce qu'on ne s'en trouve pas si loin. Un passage en catégorie Prestige nous apporterait de la notoriété ainsi qu'une vraie reconnaissance à l'échelle du territoire national et vis-à-vis de la concurrence européenne. Pour notre club, cela mettrait en avant le travail de notre formation qui n'est pas, aujourd'hui, valorisé à sa juste valeur".

(1)Marvin Golitin s'est engagé jusqu'en 2020 (avec deux années en option), Younn Zahary et Brice Tutu jusqu'en 2022, Godson Kyeremeh jusqu'en 2023 sous la forme d'un contrat élite (deux ans stagiaire + trois ans comme professionnel).

(2)Les réserves espagnoles peuvent évoluer jusqu'en Segunda Division B, troisième échelon du football espagnol.

(3)Pour déterminer ce classement, la DTN prend en compte cinq critères :

- le nombre de contrats professionnels signés par les joueurs formés au club

- le nombre de matches joués en équipe première par les joueurs formés au club

- le nombre de matches joués en sélection nationale par les joueurs formés au club

- le nombre de diplômes scolaires obtenus par les joueurs formés au club

- les contrats et l'ancienneté des éducateurs

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