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Vincent Catherine (Oaktree) : "Le cœur du réacteur, c'est la formation"

A l'image de Nicholas Gioacchini, Jessy Deminguet et Kélian Nsona, la formation caennaise a constitué l'un des principaux arguments qui a motivé l'investissement d'Oaktree au Stade Malherbe.

A l'image de Nicholas Gioacchini, Jessy Deminguet et Kélian Nsona, la formation caennaise a constitué l'un des principaux arguments qui a motivé l'investissement d'Oaktree au Stade Malherbe.

Les raisons de l'engagement d'Oaktree

"C'est Pierre-Antoine Capton qui nous a amené au Stade Malherbe"

Comment Oaktree, l'un des fonds d'investissements les plus puissants au monde, est devenu l'actionnaire principal du Stade Malherbe ?

"Grâce à Pierre-Antoine Capton. Il faut être très clair, c'est lui qui nous a amené au Stade Malherbe. C'est lui qui nous a introduit auprès des différents acteurs. Depuis le départ, il est moteur dans ce projet avec une vision très claire. Il y consacre beaucoup de son temps, de son énergie. C’est un président du conseil (de surveillance) extrêmement professionnel, actif et impliqué. Il nous apporte énormément sur tout ce qui concerne l’image, les médias, la valorisation de la marque SM Caen… Sa présence et la possibilité de s'associer avec lui ont constitué des éléments importants dans notre décision d'investir dans le club. Il nous a convaincu de la pertinence de ce projet”.

Pour Oaktree, il s’agit d’une première. Jamais le fonds d’investissement américain que vous représentez n’avait connu d’expérience dans le monde du sport...

"On a toujours été proches de l’univers du sport sans vraiment y faire d’investissement. Pour être totalement transparent avec vous, on observe de manière assez active le football européen depuis deux-trois ans. On a regardé différentes opportunités, y compris en Ligue 1, avant de jeter notre dévolu sur le Stade Malherbe. Concernant le foot européen, on considère qu’on est arrivés à un point d’inflexion, avec une nécessaire transition vers une professionnalisation accrue des clubs. Sur la partie économique, ils doivent être gérés de plus en plus comme une entreprise moderne. Il n’y a aucune raison de faire un distinguo avec une PME. Bien sûr, les clubs ont toujours ce statut un peu à part qui en font un objet qui n’appartient pas vraiment à son propriétaire ou à ses actionnaires mais aux fans, à la collectivité, à la ville, à l’écosystème… Par ailleurs, hormis le problème Mediapro et la crise sanitaire, on trouve qu’il existe une tendance de fond très positive pour investir dans le foot européen. Aujourd’hui, on en a l’intime conviction, et c’est pourquoi on a investi dans une société de contenus audiovisuels(1). Quand on a un contenu média de qualité avec des acteurs qu’on ne peut pas multiplier à l’infini comme des clubs de foot, on est capables sur du long terme de développer une offre de qualité et de susciter une demande croissante”.

(1)Oaktree Capital Management a contribué en 2020 au lancement de la plateforme internationale Asacha Media Group spécialisée dans la création, la production et la diffusion de contenus audiovisuels non-anglophones en Europe (séries, films, divertissements et documentaires).

Revenons sur la genèse de l’acquisition du club normand...

"Avec Pierre-Antoine, on se connaît depuis quelques années. On s'est rencontrés par l'intermédiaire d'amis en commun. Il nous est arrivé de nous croiser sur quelques matches au Parc des Princes. A l'époque, on avait échangé sur la situation caennaise. On déplorait tous les deux une gestion qui nécessitait d'être améliorée, avec une gouvernance simplifiée car elle était très éclatée et très morcelée. En blaguant, on s'était dit que ça serait bien de reprendre le Stade Malherbe. Pierre-Antoine a eu son aventure de son côté qui s'est arrêtée un peu en cours de route avec les difficultés qu'il a eu justement pour simplifier cette gouvernance(2) ; une condition à nos yeux indispensable afin, derrière, de donner les clés à un président opérationnel en capacité d'imposer les décisions. Et puis Pierre-Antoine nous a rappelé il y a quelques mois. Il nous a expliqué qu'avec la crise (sanitaire), il y avait un besoin de réinjecter des liquidités dans le club. Il nous a demandé de considérer attentivement le dossier".

(2)En avril 2018, Pierre-Antoine Capton avait présenté, avec le soutien de Jean-François Fortin, une offre de reprise de 67% des parts de la holding SMC 10 dont il était l’un des 13 actionnaires. Suite à cette proposition, une crise de gouvernance avait éclaté, débouchant sur l’éviction de Jean-François Fortin de la présidence.

 

Le public de d'Ornano, "passionné mais qui ne verse pas dans l'excès", a séduit le fonds d'investissement américain.

Les objectifs

"On s'inscrit sur un projet de quatre-cinq ans et plus si besoin"

Au-delà de la présence de Pierre-Antoine Capton, qu’est-ce qui vous a séduit dans le projet de rachat du Stade Malherbe ?

"C’est un club qui possède de nombreux atouts avec notamment des infrastructures de Ligue 1, un stade (d’Ornano) extraordinaire avec une fanbase, un public passionné mais qui ne verse pas dans l’excès par rapport à d’autres villes. On a estimé que si on montrait qu’on apportait notre pierre à l’édifice et qu’on ne venait pas pour faire un coup financier sur un an, il était plus facile de s’insérer dans son écosystème en comparaison à d’autres clubs. Après, un élément très important pour nous, le cœur du réacteur, c’est la formation. On pense que le Stade Malherbe possède l’un des meilleurs centres de formation en France, avec la faculté d’attirer des jeunes extrêmement prometteurs. Il a été extrêmement bien géré depuis des années. On va continuer à y investir. Il faut qu’on soit en mesure de soutenir les résultats sportifs sur l’équipe cœur pour ne pas être obligé de vendre ces jeunes tout de suite. On doit avoir la capacité de les installer dans le projet pendant un, deux ou trois ans. Cela nous permettra d’attirer encore plus de jeunes de qualité parce qu’on leur aura prouvé que chez nous, ils peuvent avoir du temps de jeu, ils peuvent être exposés. Et les transferts qu’on pourra réaliser derrière avec ces jeunes nous offriront la possibilité de réinvestir dans le club. A l’exception peut-être du Top 5 de Ligue 1, sachant qu’au-delà de nos aspirations de supporters, la partie rationnelle de notre cerveau nous fait dire que ça va être quand même difficile d’accrocher les cinq premières places en première division, ce modèle basé sur la formation est valable qu’on soit en Ligue 2 ou en Ligue 1".

Forcément, en arrivant à la tête du SMC, votre objectif est de le faire remonter en Ligue 1...

"On pense que la place naturelle du club est en Ligue 1. Maintenant, il n’y a aucune pression par rapport à la date à laquelle ça doit se produire. Bien sûr, si on monte à la fin de la saison, je serais le premier ravi mais on a le temps pour nous. Tout le monde autour de nous nous dit : « Vous êtes venus à Malherbe pour monter en Ligue 1 et revendre la saison d’après ». Ce n’est absolument pas notre projet. Quel que soit le domaine dans lequel on investit, on n’est pas là pour du court terme (lire encadré). Je le précise car c’est très important dans un projet de reprise d’un club de foot. On s’inscrit sur un projet de quatre-cinq ans et plus si besoin".

A titre personnel, depuis le début de la saison, on vous voit régulièrement au bord des terrains, à d’Ornano comme à l’extérieur…

"Je m’intéresse aux résultats du club, c’est bien normal. Mais pas que moi. Je reçois régulièrement des messages de notre maison mère (le siège d’Oaktree est basé à Los Angeles). Et puis on représente l’image du club. Même si Pierre-Antoine qui possède des racines locales (il est originaire de Trouville) est très présent vis-à-vis de l’écosystème du Stade Malherbe, c’est important de montrer qu’on est un actionnaire actif, de rencontrer les dirigeants des autres clubs, de montrer qu’on traversera les bons comme les mauvais moments ensemble… Comment je vis les matches ? Ça va me rendre cardiaque (sourire), surtout qu’à Caen, on a cette petite spécialité de s’imposer dans les dernières minutes (référence aux succès acquis dans les arrêts de jeu aux dépens de Guingamp et Nancy). Qu’on le veuille ou non, dans le sport, il y a ce côté très émotionnel qui fait qu’on se laisse prendre l’espace de 90’. Je vous rassure, on se reprend très vite après".

La boxe thaï, Roger Federer et Arsenal

S'il confesse avoir "toujours été nul au foot (rire)", Vincent Catherine est un véritable passionné de ballon rond et de sport en général. "Je fais de la boxe thaï (pieds-poings). C'est ma marotte. Ça nous enseigne une discipline de vie super saine que j'apprécie énormément", témoigne le directeur des activités en France d'Oaktree également grand fan de tennis et de Roger Federer. "C'est un euphémisme". Niveau football, un sport que pratique ses deux fils en région parisienne, Vincent Catherine a toujours suivi avec une affection particulière les résultats du Stade Malherbe. "Quand j'étais gamin, mon papa m'a emmené plusieurs fois à Venoix". Il faut dire que le natif de Bruxelles possède de solides attaches en Normandie. "L'essentiel de la famille de mon papa est basé entre Cabourg, Deauville et Houlgate. Mes parents ont habité pendant très longtemps à Houlgate. J'ai passé de nombreux étés dans la région".

Mais le SMC n'est pas le seul club de son cœur. "Je suis aussi fan d'Arsenal", lâche celui qui a vécu à Londres au début des années 2000 dans le cadre de ses activités professionnelles (avant de rejoindre Oaktree en 2014, il a travaillé pour les banques d'investissement anglo-saxonnes Merrill Lynch et Goldman Sachs). "J'ai connu les années folles avec notamment la saison des invincibles (lors de l'exercice 2003-2004, les hommes d'Arsène Wenger avaient remporté la Premier League sans concéder la moindre défaite)". Depuis, le supporter Vincent Catherine a vécu quelques déconvenues. "Mais comme on dit : « Once a Gunner always a Gunner »*".

*Gunner un jour, Gunner toujours.

Les difficultés financières du SMC

"Olivier (Pickeu) et Arnaud (Tanguy) travaillent d'arrache-pied pour présenter un plan de réduction des coûts"

Dans cette aventure caennaise, quel est le rôle d’Oaktree ?

"A court terme, on apporte des capitaux car comme vous le savez, la situation est complexe avec, avant transfert, un club qui perd 10 M€ de cash par an. Sans réinjection de capitaux, cette situation n’est pas soutenable sur le moyen-long terme. Financièrement, on détermine une trajectoire avec des investissements à effectuer dans des postes clés comme la formation, les transferts, l’acquisition de joueurs… En dessous d’un certain montant, c’est du ressort de la délégation du quotidien. Au-dessus, s’il y a des débours de cash importants à réaliser, c’est à nous de les autoriser après un dialogue en interne. On peut opiner sur la structuration financière d’un contrat qui pourrait nous coûter un certain montant par rapport à une enveloppe budgétaire globale qu’on s’était fixés. Ensuite, on va également mettre en œuvre des pratiques de gestion plus vertueuses, qu’on a déjà appliquées dans d’autres entreprises, qui permettront, en tout cas on l’espère, la pérennité du Stade Malherbe. Une fois qu’on aura assuré cette pérennité, on aura réalisé une partie de notre travail".

Compte tenu des difficultés financières du Stade Malherbe, on évoque régulièrement un plan social avec le licenciement de nombreux employés (le SMC en compte environ 130 au total, joueurs y compris)...

"Si je simplifie la situation, le Stade Malherbe a gardé une base de coût Ligue 1 tout en évoluant en Ligue 2. Peu importe la qualité du travail réalisée en Ligue 2, mécaniquement, vos revenus diminuent. Vous passez de 35 à 15 M€ de chiffre d’affaires. Alors si dans le même temps, vous conservez une infrastructure de Ligue 1 comme ça a été, partiellement, le cas ici, c’est évident qu’il faut ajuster cette base de coût. C’est pourquoi Olivier (Pickeu, le président) et Arnaud (Tanguy, le directeur général) travaillent d’arrache-pied pour présenter un plan de réduction des coûts. Je pense que ça sera le cas au début de l’année (2021). Maintenant, cela ne signifie pas forcément du départ de personnel. Il y a de nombreux efforts à réaliser dans de nombreux domaines : la masse salariale, les dépenses du centre d’entraînement… Mais on comprend que la situation soit anxiogène pour les employés de Malherbe”.

Avez-vous été surpris de la confirmation de l’encadrement de la masse salariale du club par la DNCG (une décision prononcée le 8 décembre par la Direction nationale de contrôle et de gestion) ?

"Peut-être que le calendrier du processus de rachat (qui n’a été effectif que courant octobre) est rentré en compte. De toute façon, la DNCG est souveraine. Je ne suis pas là pour commenter ses décisions. On travaille avec elle de manière très transparente, on répond à toutes ses demandes. A terme, on espère, bien entendu, sortir de cet encadrement. Après, grâce à Olivier, à la direction sportive, à Pascal Dupraz (l’entraîneur), aux connexions des uns des autres, à notre force de conviction à tous et à l’enthousiasme généré par ce nouveau projet, on a opéré une forte rotation de l’effectif (11 départs dont six prêts, six recrues lors mercato estival 2020). On est très contents d’avoir pu commencer à travailler".

Oaktree, représenté par Vincent Catherine, et Pierre-Antoine Capton ont confié la gestion quotidienne du SMC à Olivier Pickeu : le fonds d'investissement américain n'ayant pas vocation à s'occuper des affaires d'un club de football au quotidien.

Le contexte compliqué du football français

"On est équipés, taillés et on n’a pas peur de traverser les tempêtes"

En parlant de mercato, intervenez-vous sur le plan sportif (recrutement, choix d’un coach, d’un directeur du centre de formation…) ?

"Il est très important de rappeler à vos lecteurs qu’on est des actionnaires actifs et impliqués dans certaines grandes décisions stratégiques mais la première et la plus importante d’entre elles, c’est la qualité des hommes auxquels on confie la gestion du club au quotidien. Oaktree n’a pas cette vocation. Le Stade Malherbe a un président : Olivier Pickeu. C’est Pierre-Antoine qui nous l’a présenté. Un choix qu’on a validé. Olivier dégage une énergie extraordinaire. C’est un connaisseur du foot très fin. Sportivement, on se repose sur lui et ses équipes. Il y a aussi Arnaud Tanguy (également membre du Directoire) qui est une pièce clé du dispositif. Il connaît extrêmement bien la maison, tous les dossiers par cœur. Décider quel attaquant ou quel défenseur on veut, ce n’est absolument pas de mon ressort et ça ne doit jamais l’être. Le jour où je fais du sportif, ce club est mal barré (sourire). Depuis le début de notre investissement, l’alchimie entre Pierre-Antoine, Olivier, Arnaud et moi-même se passe extrêmement bien. « So far so good » (Jusqu’ici tout va bien), comme disent les Américains".

A l’image d’Oaktree au Stade Malherbe, de plus en plus d’actionnaires étrangers investissent dans le football français, y compris en Ligue 2 (Auxerre, Troyes, Toulouse)…

"Le football français est attractif. Quand on parle de formation à la française, ce n’est pas un vain mot. Et vous avez des clubs qui se trouvent un peu à la croisée des chemins, notamment en Ligue 2. Pendant très longtemps, des clubs se sont développés, ont été soutenus par des entrepreneurs locaux avec pour certains, une dimension familiale. Ils sont en train d’opérer la bascule vers un schéma plus entrepreneurial avec l’arrivée d’actionnaires extérieurs, afin de se pérenniser sur le plan financier. Si ces actionnaires sont dans la même optique que nous avec des projets sur du moyen-long terme, la volonté d’investir dans les centres de formation, de faire venir des joueurs, tout cela va contribuer à augmenter l’attractivité de la Ligue 2".

Matches à huis clos à cause de la crise sanitaire, fin prématurée du contrat des droits TV avec Mediapro… Le contexte économique du football français n’est pourtant pas propice à l’arrivée de nouveaux investisseurs…

"Ça serait faux de vous dire qu’on avait anticipé l’effondrement de Mediapro aussi vite. Néanmoins, on avait identifié des zones de turbulences. Sur ce sujet, on savait également que les clubs de Ligue 2 seraient moins impactés. Et puis on est un investisseur de tout temps. On investit dans des sociétés en très forte croissance mais on possède aussi ce savoir-faire particulier d’investir du capital-rebond dans des situations de crise. Evidemment, pour le Stade Malherbe, on a paramétré notre investissement pour faire face à la crise. Pierre-Antoine le disait dans une interview précédente (dans les colonnes d’Ouest-France daté du 19 novembre) : « Beaucoup de clubs vont avoir des difficultés, pas le Stade Malherbe ». Bien sûr qu’on est affectés par le huis clos, par le fait que nos loges ne soient pas occupées, par les répercussions de l’affaire Mediapro mais on est équipés, taillés et on n’a pas peur de traverser les tempêtes. Je ne crois pas à un effondrement de l’économie du foot. Ça va revenir. Les gens ont faim de football. On dispose d’un très bon produit. Maintenant, il faut qu’on soit collectivement capable de produire un spectacle”.

Oaktree, un poids lourd de la gestion d'actifs

Nouvel actionnaire principal du Stade Malherbe, à hauteur de 80% (les 20% restants étant la propriété de Pierre-Antoine Capton), Oaktree Capital Management (OCM) est une société de gestion d'actifs (140 milliards pour le compte de tiers). "Des fonds de pension, des fonds de retraite américains et européens, des fonds souverains asiatiques ou des banques d'assurance nous confient une partie de leur épargne avec pour objectif de la faire fructifier", développe Vincent Catherine, directeur général des activités du fonds d'investissement basé aux Etats-Unis. La particularité d'Oaktree réside dans les domaines dans lesquels il investit.

"Au lieu que ce soit de manière classique en bourse ou dans des obligations, on s'est spécialisé dans des projets dits alternatifs dans lesquels on va prendre une zone de risque un peu plus importante : une société qui a besoin de capital rebond, un projet entrepreneurial qui débute, un club de foot…", poursuit Vincent Catherine. A l'image de la reprise du SMC, le fonds d'investissement américain se laisse le temps d'agir "sur des durées comprises entre quatre et dix ans". "On est là pour du long terme mais pas pour toujours. On a le temps de s'installer, de mettre en œuvre la série de mesures nécessaires pour remettre l'entreprise sur de bons rails", complète le directeur de la branche française d'OCM. "On est une courroie de transmission. Une fois qu'on a achevé une partie de notre travail, on passe la main à un nouveau propriétaire".

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