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Les supporters du FC Rouen vent debout contre la direction

Les « Diablotins » tenteront de créer l'exploit contre leurs homologues du Stade Malherbe. ©Bernard Morvan/FC Rouen 1899

Entre les supporters du FC Rouen et la direction, la fracture semble profonde. Au cœur des dissensions, la gestion financière du club rouennais.

Fin février, en l’espace de 24 heures, les Culs Rouges et les Rouen Fans publient, chacun leur tour, un communiqué (à retrouver ci-dessous) où ils fustigent la gestion, notamment financière, du FCR par la direction actuelle. "Au fil des réunions, on s’est rendu compte qu’il y avait une gestion très aléatoire voire complètement hasardeuse du club", explique Grégoire Meurice, le président des Culs Rouges ; une association présente au capital de la SAS (Société par actions simplifiée), à hauteur de 6,7%, depuis sa création le 1er juin 2019.

Sur un ton largement plus vindicatif, les Rouen Fans pointent, eux, « Chaque année, des déficits et des budgets explosés mettant en danger le club. Cette gestion désastreuse finira par conduire le FCR à un énième dépôt de bilan que nous ne tolérons pas ». Des banderoles ont également été accrochées au Stade Diochon et devant l’entreprise du président et principal actionnaire Fabrice Tardy appelant ce dernier, ainsi que Charles Maarek, deuxième principal actionnaire (25%) et directeur général des « Diables Rouges », à partir. On pouvait notamment y lire : « Tardy, Maarek, cassez-vous » ou encore « Chiffres masqués, bilan truqué, contre vous, il n’y a pas de vaccin ». Des inscriptions qui n’ont pas été du tout appréciées par les principaux concernés.

Le PV de la DNCG qui a mis le feu aux poudres

"Cette politique ne nous convient pas"

Pourquoi ces supporters s’en prennent-ils aussi violemment à la direction ? Sur un fil pour le moins tendu depuis plusieurs mois, les relations entre les deux camps se sont détériorées suite à la fuite du PV de l’audition du FCR devant la DNCG, le 8 décembre. Dans un club encore traumatisé par son dernier dépôt de bilan en août 2013(1), la question des finances constitue toujours un sujet sensible. Autant dire qu’à la lecture de ce rapport, leur sang n’a fait qu’un tour. Que mentionne ce fameux PV de l’organe de contrôle et de gestion qui a mis le feu aux poudres ? Dans un premier temps, il fait état de déficits de 112 000 € puis de 288 000 € pour les exercices 2019-2020 et 2020-2021 pour un budget aux alentours de 1,4 M€.

Des montants, certes conséquents au premier abord, mais qui ne semblent pas mettre en péril la pérennité économique des « Diables Rouges » qui disposent, en parallèle, de solides fonds propres : 292 000 € au 30 juin 2020 et 204 000 € un an plus tard selon ce même rapport de la commission de la FFF. D’ailleurs, il convient de rappeler que le président Fabrice Tardy et ses collègues actionnaires ont toujours fait face à leurs obligations depuis 2013 en bouchant systématiquement, et quasiment à chaque saison, les « trous ». "Mais nous, cette politique ne nous convient pas. On veut une gestion saine", clame Grégoire Meurice. "A la base, si on a créé notre association (en 2014), c’est pour ne pas revivre les événements qui ont conduit aux différents dépôts de bilan du club".

Plus préoccupantes par contre, les nombreuses remarques du gendarme financier épinglant la gestion des dirigeants du FCR. Pêle-mêle, on note :

> Des éléments comptables transmis, largement en dehors des délais, simplement la veille de l’audition. Un retard synonyme d’une sanction avec une amende, au montant symbolique, de 750 € (comme le prévoit le règlement),

> Les constations de la Commission sur « de fortes discordances entre les comptes estimés et les comptes annuels pour la saison 2019-2020 »,

> L'encadrement de la masse salariale brute, pour l’exercice 2020-2021, à hauteur de 892 000 €.

La DNCG attire aussi l’attention du club rouennais « sur le fait que les sommes versées au titre de frais de déplacement doivent être dûment justifiées et correspondre à des remboursements de frais réellement engagés par son bénéficiaire ». Le FCR est bien placé pour le savoir, pour avoir déjà subi un contrôle URSSAF, en grande partie lié à ce sujet, sur la période antérieure à la SAS donc concernant l’association, et donnant lieu à un redressement de 96 000 €. "Quand on habite Rouen rive gauche, il n’y en a pas pour des centaines d’euros d’indemnités kilométriques tous les mois pour venir jusqu'au stade. Il ne faut pas se foutre de la gueule des gens", lance Grégoire Meurice qui a également voté contre la convention liant la SAS à l’association. "J’avais alerté les dirigeants comme quoi elle était très limite. En gros, on donnait 500 € à chaque joueur pour s’occuper de l’école de foot. On m’a dit que c’était innommable de voter contre, que j’étais juste là pour faire ch… Sauf que peu de temps après, l’expert-comptable nous a ordonné de mettre fin à cette convention (potentiellement) car elle était illégale et très dangereuse".

(1)Dans les années 1990, le FC Rouen a connu deux autres dépôts de bilan : en août 1995 et en octobre 1997.

"Il n’y a aucune inquiétude sur le club"

"Je n’ai pas de commentaires à faire à ce sujet". Contacté par nos soins, Fabrice Tardy nous a répondu par message qu’il ne souhaitait pas réagir. Mais le président du FCR a quand même reconnu que le club "avait des soucis comme tout le monde au regard de la situation (sanitaire)" tout en nous certifiant "qu’il n’y a aucune inquiétude sur le club".

Avant d’ajouter : "Le PV de la DNCG indique des capitaux propres de 230 000 €". Concernant les accusations des supporters, le dirigeant rouennais estime "qu’une frange ultra-minoritaire conteste systématiquement chaque prise de décision. Chacun doit rester dans son rôle et avoir une analyse objective et positive. C’est comme cela que nous réussirons".

Des accusations de mensonges

"S’il n’y avait pas eu la Covid cette saison, la masse salariale aurait été largement dépassée"

Mais si les supporters sont autant en colère et notamment les Culs Rouges, c’est parce qu’ils estiment qu’on leur a menti. « Force est de constater que nous ne sommes pas considérés comme un actionnaire à part entière par la direction. Des informations parcellaires voire erronées nous sont communiquées. La transparence que nous avons toujours prônée n’est pas de mise au sein du club », peut-on lire sur leur communiqué. "On nous avait dit qu’on avait terminé la saison dernière (2019-2020) avec un bénéfice de 50 000 €. Déjà, je trouvais incroyable d’avoir aussi peu de bénéfices compte tenu de nos recettes entre le chômage partiel (93 000 € d’indemnités selon le rapport de la DNCG pour la période couvrant de mi-mars au 30 juin 2020) et le parcours en Coupe de France (qui aurait rapporté environ 100 000 €)", souligne Grégoire Meurice. "On n’a pas été prévenus de l’amende, ni de l’exercice déficitaire ou de l’ampleur de l’encadrement de la masse salariale", s’étonne le président des Culs Rouges qui siège, à ce titre, au conseil d’administration de la SAS.

L’encadrement de la masse salariale brute à une hauteur de 892 000 € comme mentionné un peu plus haut constitue l’une des principales inquiétudes pour ce représentant des supporters, chef d’entreprise par ailleurs. "Sans le chômage partiel (dont le FCR a bénéficié, de manière partielle ou totale, de fin octobre à fin janvier, de l’arrêt des championnats à la reprise de la Coupe de France sans que le montant ne figure dans le PV de la DNCG), c’est inenvisageable de rentrer dans les clous ou alors il faudrait qu’on arrête de payer les joueurs aujourd’hui ! S’il n’y avait pas eu la Covid cette saison, la masse salariale aurait été largement dépassée", affirme Grégoire Meurice. "Et quand je l’ai fait remarquer en réunion, M. Leroux (Stéphane, le président de l’association, également actionnaire et membre du CA) m’a répondu : « Ça se voit bien que tu n’y connais rien en football ni en recrutement. C’est normal de dépasser un peu ». Je me demande de quel montant on aurait parlé si on avait dépassé de beaucoup".

Une fracture profonde

"Ils s’imaginent comme des sauveurs du club alors qu’ils ne font que l’enterrer"

Forcément, depuis la publication de ces communiqués et le déploiement de ces banderoles, le climat entre la direction et les supporters du FCR ne s’est pas spécialement réchauffé. "Depuis, les dirigeants ne veulent plus nous donner d’infos. Pour eux, c’est comme si on n’était plus actionnaires. Nous, les Culs Rouges, on a voulu mettre la pression, poliment, de façon courtoise. Mais les dirigeants font l’amalgame entre nous et les banderoles. Au conseil d’administration, on me dit que je n’ai pas forcément le droit à la parole car, selon les dirigeants, je ne représente pas tous supporters mais dès que l’un d’eux s’exprime, c’est comme si c’est moi qui parlais. C’est une vision très simplifiée des choses", déplore Grégoire Meurice qui ne voit pas vraiment d’issue à ce conflit.

La Ville de rouen ne souhaite pas s'exprimer pour le moment

"Je ne sais pas du tout où on va. Avec les dirigeants, quelque chose s’est cassé. Ils m’ont tellement déçu, sont tellement insultants voire menaçants. Les dirigeants vont encore dire que c’est de la faute des supporters et les supporters pensent que l’avenir du club doit se faire sans Fabrice Tardy et Charles Maarek. Ils s’imaginent comme des sauveurs du club alors qu’ils ne font que l’enterrer. Dans ces conditions, jamais aucun repreneur ne viendra. On est condamnés à les garder et à se taire", conclut, un brin dépité, le président des Culs Rouges.

Dans ce contexte, on serait curieux d’avoir le point de vue des représentants de la Ville. Si elle a rencontré une délégation de Culs Rouges lundi après-midi, Sarah Vauzelle, l’adjointe aux sports et à la jeunesse, ne souhaite pas, pour le moment, s’exprimer dans les médias sur ce sujet. Rappelons qu’à la mi-septembre, lors de l’assemblée générale des Culs Rouges, Nicolas Mayer-Rossignol, le nouveau maire et président de la Métropole, avait annoncé "un rééquilibrage progressif en termes de financement" entre le FCR et QRM (N1) et "une augmentation très forte du soutien de la Métropole au FCR".

"On se rend compte que les dirigeants n’ont que du mépris pour les supporters"

Que ce soit pour ses plus beaux exploits, comme ici, lors du parcours en Coupe de France la saison dernière, ou quand il a traversé ses heures les plus sombres (ex : après le dépôt de bilan en 2013), le FC Rouen a toujours pu compter sur le soutien fidèle de ses supporters.

Au-delà de la question financière, certes centrale, la Fédération des Culs Rouges, regroupant tous les amoureux du FCR, souligne un manque de considération de la part de la direction vis-à-vis des fans rouennais. "On se rend compte que les dirigeants n’ont que du mépris pour les supporters. Malgré ce qu’ils affirment dans les journaux, les dirigeants sont très contents du huis clos (en raison du contexte sanitaire). Si l’équipe obtenait des résultats dans ces conditions, ça signifierait que le 12e homme ne sert à rien", rapporte un Grégoire Meurice qui ne mâche pas ses mots.

"Pour eux, les supporters ne sont vus que comme un problème et jamais comme une solution. Par contre, ils sont bien contents d’encaisser leur abonnement et les recettes de la buvette. Pour eux, un supporter, ça doit payer et se taire. Et contrairement à ce que je peux entendre, je ne représente pas des chômeurs alcooliques", poursuit le président des Culs Rouges dénonçant "une situation blessante au quotidien".

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