Sur les raisons du rachat du Stade Malherbe
"C'était acté jusqu'à ce que M. Gravelaine et M. Fortin disent non"
Depuis dix mois, tout le monde se pose la question, pourquoi Kylian Mbappé a acheté le SMC ? "On l'a fait par challenge. Kylian a toujours souhaité participer à la vie d'un club", répond Fayza Lamari qui a révélé que ce projet se trouvait dans les cartons depuis très longtemps. "On savait depuis deux ans qu'on prendrait le Stade Malherbe. Ziad (Hammoud) nous a fait trois propositions (les noms du Red Star et de Nîmes ont également circulé). Naturellement, notre choix s'est porté sur le Stade Malherbe. On est venus parce que l'histoire était belle pour nous". Une référence à 2013 quand son fils, alors âgé de 14 ans, avait été à deux doigts de s'engager sous le maillot « Rouge et Bleu ». "C'était acté jusqu'à ce que M. Gravelaine et M. Fortin disent non".
On ne sait pas si la représentante de Coalition Capital, le fonds d'investissement qui détient le SMC, s'est mélangé dans ses souvenirs, toujours est-il qu'en 2013, Xavier Gravelaine n'avait pas encore effectué son retour dans le club caennais dont il sera ensuite le manager général de 2014 à 2018. Peut-être a-t-elle confondu avec Alain Cavéglia, le directeur sportif de l'époque. Et il convient de préciser que si Jean-François Fortin a finalement refusé l'arrivée de Kylian Mbappé, c'est pour des raisons économiques. Alors que l'équipe normande n'est pas parvenue à remonter en Ligue 1 et s'apprête à enchaîner une deuxième saison consécutive à l'étage inférieur sur fond de restrictions budgétaires (déjà), l'ex-président estime l'investissement trop lourd pour un si jeune joueur (une prime à la signature de 120 000 € avait été négociée si le club évoluait en Ligue 2), sachant qu'il y avait aussi des emplois administratifs à sauver. Forcément, avec le recul, cette somme peut paraître dérisoire. Mais avec des si...
L'investissement financier
"Quand vous gagnez 15€, on ne dépense pas 100€"
Ce fut l'une des thématiques fortes de l'intervention de Fayza Lamari sur les ondes d'Ici Normandie, sans l'investissement financier de son fils, le Stade Malherbe serait encore en plus mauvaise posture qu'il ne l'est aujourd'hui. Avec, la saison dernière, un déficit structurel de 11 M€, une masse salariale de 16 M€ et un résultat net négatif de presque 8,5 M€, difficile de lui donner tort. "Vous savez, il n'y avait pas 15 sociétés prêtes à racheter le club. Personne ne se bousculait au portillon", rappelle la mère du capitaine de l'équipe de France. Depuis sa prise de contrôle du club caennais à hauteur de 80% du capital, Coalition Capital a déjà injecté une vingtaine de millions d'euros dans les caisses. "Une preuve d'amour", selon Fayza Lamari. Ce montant comprend donc le rachat, les dettes à éponger (12 M€) et un certain nombre d'investissements "sur la salle de musculation, sur la nutrition... On va aussi refaire les terrains. Des bases sont en train d'être construites".
Fayza Lamari n'en fait aucun mystère, le SMC vit largement au-dessus de ses moyens, "entre 10 et 15 M€ ! Quand vous gagnez 15€, on ne dépense pas 100€". Pour le prochain exercice, la dirigeante annonce un budget en National divisé par trois, soit autour des 5 M€ (il se portait à 16,17 M€ en 2023-2024). "Notre idée, c'est d'assainir les finances". Dans ce contexte, il devrait y avoir de la casse au niveau des salariés. "Forcément, il y aura quelques coupes". Dans les bureaux, la perspective d'un plan social, quatre ans après en avoir déjà vécu un (27 des 64 personnes en CDI avaient perdu leur emploi), n'est pas à exclure. "Même en Ligue 2, on avait beaucoup de salariés". Trop ? Les premiers bruits font écho, au minimum, d'une quinzaine de départs (alternants et CDD y compris).
« Fayza, les bouseux sont dans la merde ! » Cette banderole, accrochée par des supporters du Stade Malherbe aux grilles de d'Ornano, début février, a provoqué le courroux de Fayza Lamari.
La contestation des supporters
"Le jour des affiches, où on m'insultait, je voulais partir"
Tout au long de la saison, au fur et à mesure que les résultats empiraient, un fossé s'est creusé entre l'Etat-major du Stade Malherbe et les supporters. Ces tensions ont peut-être atteint leur paroxysme début février quand plusieurs banderoles ont été déployées aux abords du complexe de Venoix dont une visant Fayza Lamari : « Fayza, les bouseux sont dans la merde ! » C'est un euphémisme que d'affirmer que la principale intéressée n'a pas spécialement apprécié. "Le jour des affiches, où on m'insultait, où on insultait le président (Ziad Hammoud), je voulais partir", explique la représentante de Coalition Capital.
"Je me souviens avoir dit à Kylian : « Humblement, on ne nous méritait pas et qu'il fallait savoir partir quand on n'était pas désiré »". C'est son fils qui lui a fait changer d'avis. "Kylian n'a pas voulu, Ziad n'a pas voulu. Ils m'ont convaincu du contraire". Aujourd'hui, un départ de l'actionnaire principal n'est plus à l'ordre du jour. "Comment on pourrait partir en laissant un club qui vient de descendre. Ça serait malhonnête". Par contre, pas certain que ses relations avec le peuple « Rouge et Bleu » vont se réchauffer après cette interview.
Les critiques à l'encontre de Ziad Hammoud
"Je sais que je vais en choquer plus d'un, mais je le remercie"
S'il y a bien une personne qui a cristallisé les critiques des supporters, des observateurs et des journalistes (nous y compris) depuis le rachat du Stade Malherbe, c'est bien Ziad Hammoud, le très discret président. "Il voulait s'exprimer depuis longtemps mais le board lui a demandé de ne pas parler. Mais pourquoi on attend du président qu'il s'exprime après chaque zone mixte ? Parce que c'est le club de Kylian", livre Fayza Lamari. Une vision que nous ne partageons pas. Que le SMC soit la propriété de Kylian Mbappé ou pas, ses dirigeants se sont toujours exprimés auprès des médias, des supporters, des partenaires, encore plus en temps de crise sportive... Et si ce n'est pas le président qui se présente en première ligne, c'est le manager général ou le directeur sportif. Cette saison, ce fut silenzio stampa de la part de l'ensemble de l'organigramme du club. "J'invite chaque personne qui se pose des questions à venir voir comment le président et le directeur sportif (en parlant de Reda Hammache) travaillent. On va ouvrir les portes", lance la mère du champion du Monde 2018. Une invitation que nous acceptons volontiers.
En attendant et bien que le Malherbe Normandy Kop a réclamé son départ, Ziad Hammoud conserve la confiance du clan Mbappé. Le dirigeant a même été conforté dans ses fonctions, tout comme Reda Hammache, le responsable du recrutement arrivé en janvier. Fayza Lamari a balayé tous les reproches formulés à l'encontre du président. Sa gouvernance à distance (Ziad Hammoud réside à Madrid) ? "Le mode de gestion n'a pas été trop lointain". Sa méconnaissance du ballon rond et de ses codes ? "Je ne connais pas beaucoup de présidents de Ligue 1-Ligue 2 qui s'y connaissent en foot". Nous, oui, deux-trois, et en se basant sur notre petite expérience, on peut témoigner que ça peut aider pour diriger un club. Restant sourde à ces remarques, la « patronne » du SMC l'a défendu farouchement, rappelant à plusieurs reprises qu'il n'était pas rémunéré pour ce poste de président (il est salarié de Coalition Capital). "On s'est attaqué à lui gratuitement. Pour lui, ce ne fut pas une année simple sur le plan émotionnel. C'est quelqu'un qui prend les choses à cœur. Je connais ses compétences. Que ce soit avec la Région, les partenaires, le bassin normand... Ziad a fait un excellent travail. Je sais que je vais en choquer plus d'un, mais je le remercie".
Le défendant farouchement malgré les nombreuses critiques qui s'abattent sur lui, Fayza Lamari a conforté Ziad Hammoud dans ses fonctions de président. ©Damien Deslandes
L'héritage de la direction précédente
"On a découvert des cadavres dans les placards"
A l'heure de dresser le bilan de cette saison catastrophique pour le Stade Malherbe, Fayza Lamari endosse une part de responsabilité. "Quand vous travaillez dans l'urgence, on commet forcément des erreurs", reconnaît-elle, référence à ce rachat (trop) tardif au cœur de l'été 2024. "On a démarré en retard". Toutefois, aux yeux de la mère de Kylian Mbappé, le board qu'elle représente est loin d'être le seul fautif, et peut-être pas le principal. "Quand vous descendez, il y a des erreurs qui vous incombent mais pour d'autres, on les a subies. Et on ne va pas assumer celles qui ne sont pas les nôtres". Dans son viseur, sans les nommer, le fonds d'investissement américain Oaktree, le précédent propriétaire, et le président Olivier Pickeu. "Le passage avec l'ancien actionnaire et les équipes en place a été compliqué. C'est comme dans Mario, il y avait quelques bananes", lâche Fayza Lamari, utilisant une métaphore qui parlera aux amoureux de jeux vidéo. Avant d'ajouter un peu plus tard : "On a découvert des cadavres dans les placards". Si on ne conteste absolument pas cette version, on peut regretter que la dirigeante ne soit pas allée plus loin dans ses propos. Des cadavres, oui, mais lesquels ? "On peut ouvrir les portes", assure-t-elle. Encore une fois, on répond favorablement à cette proposition.
Le renvoi de Nicolas Seube
"M. Seube a fait ses choix, comme celui de se séparer d'Ali Abdi"
A écouter l'interview de Fayza Lamari sur Ici Normandie, il se diffuse l'idée que la famille Mbappé a contribué à la nomination de Nicolas Seube sur le banc caennais, fin novembre 2023. "A l'époque, il fallait licencier M. Furlan", confie la représentante de Coalition Capital, hésitant sur le nom de l'ancien entraîneur du SMC. "Même si ce n'est pas nous qui choisissions à l'époque, on a proposé le nom de Nicolas Seube. Kylian a dit : « Pourquoi on ne ferait pas de la promotion interne »". Si ce board a peut-être été à l'origine de l'arrivée de Nicolas Seube à la tête des « pros », une chose est sûre, il a mis fin à cette expérience un an plus tard. "On n'a pas pris cette décision de gaieté de cœur mais à partir du moment où ça ne passe plus entre les joueurs et le coach. Et on ne peut pas licencier 17 joueurs", rapporte Fayza Lamari, tout en précisant au début de l'entretien qu'elle n'a choisi aucun entraîneur cette saison. "Je n'ai jamais interféré dans les décisions".
Toujours est-il qu'au moment de lister les fautifs de cette relégation en National, l'emblématique n°2 des « Rouge et Bleu » n'est pas épargné. "M. Seube a fait ses choix, comme celui de se séparer d'Ali Abdi. Ce n'est pas le nôtre. C'est un joueur qui pèse dix buts par saison". Effectivement, estimant qu'il devenait très compliqué de gérer l'international tunisien au quotidien et qu'il pouvait nuire au groupe, notamment à partir du moment où il a reçu la proposition de Nice, le technicien n'a pas souhaité le conserver. Est-ce que cela constituait une erreur ? Plus facile à dire aujourd'hui. Au-delà du cas de l'actuel niçois, Fayza Lamari a répété, à qui voulait bien l'entendre, que "M. Seube a eu tous les moyens qu'il souhaitait. Le board lui a proposé des défenseurs mais il a voulu garder les joueurs qu'il avait déjà". Bon, après, si c'étaient des arrières du niveau d'Alex Moussounda, recruté au mercato d'hiver, on comprend mieux pourquoi Nicolas Seube n'en a pas voulu. Ce que l'ex-coach du SMC souhaitait par contre, ce sont des ailiers. Mais là, ce ne fut pas possible. "On ne lui a pas donné satisfaction car on n'avait tout simplement pas les moyens d'acheter les joueurs ciblés. C'était impossible de réaliser des transferts à 2 M€". A se demander comment les autres clubs de Ligue 2, qui disposent de moins de moyens que le Stade Malherbe, procèdent pour recruter ?
A l'heure de dresser la liste des fautifs de cette relégation en National, Fayza Lamari a pointé la gestion du mercato de l'été dernier de la part de Nicolas Seube. ©Damien Deslandes
"Vous affirmer qu'on va remonter tout de suite, ça serait vendre du rêve. C'est notre volonté mais ça se construit. Quand ? Je ne suis pas Nostradamus"
Fayza Lamari, à propos de l'objectif du SM Caen la saison prochaine