Le HAC en Arkema Première League samedi, le Stade Malherbe et QRM dimanche, idem pour le Régional 1... Alors que l'ensemble des championnats concernant des équipes normandes reprennent ce week-end, notre rédaction consacre une semaine spéciale au football féminin. Premier volet de cette série avec un retour sur l'incroyable aventure du FCF Condéen pendant 35 ans, avec un hommage appuyé à Jean Elisabeth, son historique président, qui nous a quittés il y a cinq mois.
Il y a cinq mois, dimanche 13 avril, le football normand a perdu un grand Monsieur. Président fondateur du FCF Condéen, Jean Elisabeth est décédé à l'âge de 85 ans après avoir lutté contre la maladie. Ce club, il l'a créé à la fin des années 1970, en 1978 plus exactement, contribuant à en faire l'un des meilleurs dans le football féminin français. S'il était impliqué dans la vie politique locale, ce précurseur de la pratique était surtout connu pour son engagement sportif, au service du FCF Condéen, à une époque où les clubs féminins se faisaient rares. Sollicité par ses filles, Linda et Christine, il n'était pourtant pas très enthousiaste au départ. "Jean leur avait répondu : « Ok, je crée une équipe si vous arrivez à trouver au moins 15 filles ». Trois jours plus tard, le club était créé »", rembobine dans un sourire Catherine Groussard, joueuse de la première heure. La bande de copines s'amuse à taper dans la balle, sous les yeux écarquillés de Jean Elisabeth. Ce dernier est impressionné par le niveau des jeunes femmes. Très vite, cela devient un succès, avec des moyens dérisoires.
"On ne gagnait pas un centime ! On jouait au foot pour le plaisir", appuie celle que l'on appelait « Kit Kat » parmi les quatre Catherine de l'équipe. Le club monte en première division dès 1983, aux dépens du Paris Saint-Germain (3-2), et devient à nouveau champion de France de D2 en 2004, 2006 et 2008. Pendant toute son existence, le Football Club Féminin Condéen a passé 35 saisons dans les deux premières divisions nationales dont 13 dans l'élite avant de redescendre au niveau régional en 2016, année de démission de son président historique. Si le FCFC a vécu de belles épopées au sein des différents championnats, c'est en grande partie grâce au dévouement d'un Jean Elisabeth passionné. Surnommé « deuxième papa », il a tout donné pour le bien de ses protégées. Aurore Hélie est bien placée pour témoigner. "Jean donnait de sa personne sans compter. Il allait repérer les joueuses et faisait des heures de route pour qu'elles s'entraînent. J'ai toujours dit que le jour où il partirait du club, le club disparaîtrait", se remémore l'ex-capitaine, qui a porté les couleurs condéennes pendant 21 ans.
"Jean Elisabeth ? C'était le Jean-Michel Aulas de la campagne. Il a tout fait pour ses joueuses"
Aurore Hélie
Arrivée lors de la saison 2008-2009 en Normandie, la gardienne Camille Nerbonne se souvient d'un président couteau-suisse. "Il était notre kiné, notre médecin, notre papa. Il conduisait même les minibus. Le club de Condé, c'était sa maison, c'était sa vie !" Homme de parole, Jean Elisabeth a fait des sacrifices pour l'amour du ballon rond. Pour le foot, il était capable de se lever aux aurores, de se plier en quatre pour faire signer une joueuse, de lui trouver du travail ou un stage professionnel. Il était aussi le seul président de la région qui ne manquait sous aucun prétexte les rassemblements de jeunes organisés par la Ligue de Normandie. Quand on parlait du FCFC autour des terrains, son nom résonnait. Il était plus qu'une figure pour le football féminin. "C'était le Jean-Michel Aulas de la campagne. Il a tout fait pour ses joueuses comme l'a fait Aulas à Lyon. Il a laissé une empreinte au club", glisse dans un sourire Aurore Hélie. Par ailleurs, il n'était pas du genre à se laisser marcher dessus. "C'était un vrai personnage, avec un caractère parfois difficile", ajoute Catherine Groussard qui a longtemps été trésorière de l'association. "Un jour, on avait perdu sur le terrain de Saint-Brieuc et il nous avait traitées de chèvres. Je m'en souviendrai toute ma vie !", rigole « Kit Kat ».

Au cours de ses 35 années passées en première et deuxième division, le FCF Condéen a accumulé un paquet de coupes.
Piscine obligatoire après les matchs
Si à une certaine époque, on savait placer Condé sur la carte du football national, c'est parce que le FCFC a marqué les esprits. Ce club « de campagne », loin du prestige de l'Olympique Lyonnais ou du Paris Saint-Germain de l'époque, se débrouillait avec les moyens du bord. L'honneur en revient à Jean Elisabeth, qui s'est toujours battu pour obtenir des financements publics. La mairie, la ligue ainsi que le Conseil régional ont toujours soutenu le club niché entre Flers et Caen. Mais celles et ceux qui ont croisé la route du FCFC se souviennent aussi de sa singularité. Des préfabriqués servaient de vestiaires. Les terrains de la Conterie (pour les entraînements) et le Stade Robert-Gossard (pour les matchs) ont souvent été considérés comme "des champs de patate", dixit Sarah Bouhaddi, ex-gardienne des Bleues. "De l'extérieur, ça faisait peur de venir jouer ici. Mais nous, on s'en foutait de jouer sur un terrain à moitié biscornu. On avait réussi à créer quelque chose entre nous", se rappelle Camille Nerbonne. "Une fois, j'ai même vu un ragondin sortir de mon but !" La Bretonne a fait partie de la génération qui a connu la piscine obligatoire après les matchs. Les joueuses n'avaient qu'à traverser la route en peignoir pour aller faire un plouf. "Ce moment imposé nous gonflait. Mais avec le recul, on avait le moyen de se détendre et de débriefer. On ne se rendait pas compte de la chance qu'on avait".
"(Pour aller à Juvisy) On n'avait pas de GPS et on s'est perdues. On s'est fait escorter par les motards de la police pour arriver à 15H au stade"
Catherine Groussard
Calais, Bischheim, Henin-Beaumont, Saint-Maur, Montpellier, Toulouse... Pour jouer au foot, le FCFC a traversé l'hexagone, d'Est en Ouest, puis du Nord au Sud. Sans grands moyens, il fallait parfois faire 24 heures de bus aller-retour pour disputer un match. Pour ses déplacements, le club bricolait. Parmi les souvenirs les plus marquants, il y a par exemple le voyage à Juvisy dans les premières années de gloire du club. "A l'époque, on n'avait pas de GPS et on s'est perdues. On s'est fait escorter par les motards de la police pour arriver à 15 heures au stade. On s'est échauffées 15' pour finalement faire match nul ! Les filles en face l'avaient mauvaise", raconte Catherine Groussard. Mises au vert, déplacements interminables, nuits à l'hôtel... D'anciennes jeunes femmes ont livré également de belles anecdotes croustillantes. A commencer par une rencontre au Matmut Atlantique de Bordeaux, lors de la dernière saison en D2 du club, en 2016. "On avait joué après un match de Ligue 1 dans un stade tout neuf, c'était impressionnant. Même s'il n'y avait pas beaucoup de supporters, on ne s'entendait pas parler sur le terrain. On nous avait même apporté une tour de pizza dans le vestiaire après le match !", savoure encore Aurore Hélie, taulière de cette équipe.
Caroline Deluca, attaquante de Condé de 2012 à 2015, se rappelle, elle, d'un déplacement quelque peu chaotique dans le Nord de la France. "Le match avait été reporté quatre fois à cause de la météo. On avait finalement joué un mercredi et on s'est retrouvées bloqué dans une tempête de neige sur l'autoroute. On est descendues du bus, on a fait une bataille de boules de neige sur la bande d'arrêt d'urgence ! Un sacré souvenir". En jouant à très haut niveau, les joueuses du FCF Condé ont croisé la route de nombreuses personnalités du monde du foot. "Au Camp des Loges au PSG, on avait aperçu Pauleta, C'est des moments qui marquent", s'exclame Aurore Hélie. Laëtitia Tonazzi, Sandrine Soubeyrand, Sandrine Roux... Les Normandes ont rencontré de nombreuses internationales françaises. Catherine Groussard a affronté à plusieurs reprises la légende Marinette Pichon, deuxième meilleure buteuse de l'histoire de l'équipe de France (le record a été battu par Eugénie Le Sommer). "Marinette Pichon, c'est la fille qui marquait des buts ! J'ai aussi joué contre Corinne Diacre (ex-sélectionneuse des Bleues). C'était une fille droite et carrée. Et puis Sandrine Soubeyrand, elle en impose". Un peu plus tard, Aurore Hélie a aussi défié des joueuses de la génération 1980, comme Wendy Renard, capitaine emblématique des Bleues ou encore Elodie Thomis. Là encore, c'était d'un tout autre niveau. "Elodie Thomis est tellement rapide que sur le terrain, tu ne vois que ses fesses !"

Les derbys avec Cormelles-le-Royal, le deuxième club phare de la région, à partir du milieu des années 1990, font partie intégrante de l'histoire du FCF Condéen.
La rivalité avec le voisin normand de Cormelles
A une certaine époque, le FCF Condéen a également compté son lot d'internationales. Isabelle Gibassier ou encore Dominique Provost, meilleure buteuse de D2 en 1983 et de D1 en 1984 en font partie. Julie Morel aussi (une sélection en 2012). Virginie Couillard, avec une cap en équipe de France des moins de 21 ans, a également marqué le club de sa longévité avec 21 saisons au compteur, entrecoupées d'un intermède chez le rival de Cormelles-le-Royal. A ses débuts, le club a pu compter sur le talent de jeunes femmes comme Martine Ozenne, Brititte Lomme ou encore Sandra Desmonts. Une joueuse du cru a aussi marqué les esprits. "Pour moi, Sophie Potrel était la joueuse la plus impressionnante", souligne Catherine Groussard. La milieu offensif aurait dû rejoindre les Bleues mais "elle a refusé car ses parents lui avaient payé les sports d'hiver. C'est dingue ! C'était une super joueuse, dans le jeu et sa mentalité. Elle aurait pu faire une carrière internationale". Au-delà des joueuses, des entraîneurs de renom sont passés par la Suisse Normande. Et la même question revient toujours : comment un club comme Condé-sur-Noireau, situé dans une ville de 4 000 habitants, parvenait-il à attirer ? "C'est Jean ! Il a tout fait pour que le football féminin avance. Il faisait venir des coachs diplômés, qu'il payait", déclare Aurore Hélie.
En 2009, le FCFC s'est attiré les talents de Pascal Grosbois, ancien « pro » (Angers, Laval, Istres et Rouen). A 50 ans, le manager avait jeté son dévolu sur le club du bocage après être passé par le Red Star, le Stade Rennais, la Réunion et même Dubaï. Celui qui a véritablement fait franchir un cap aux Condéennes se nomme Deen Touré. Le Béninois d'origine a tout construit pour que le club retrouve l'élite en 2004. "C'est le meilleur entraîneur que l'on ait eu", affirme Catherine Groussard. "Il prenait les filles à l'entraînement le matin quand elles travaillaient l'après-midi. Il avait un fonctionnement professionnel, sur la façon de se préparer, d'aborder les matchs ou même sur l'hygiène de vie". Nommée capitaine sous ses ordres, Aurore Hélie ne peut oublier l'incroyable souvenir de la montée, qu'elle a vécu pour la première fois. "La première, elle marque toujours plus que les autres. On jouait un match décisif contre Tours à domicile. On perdait 2-0 et Magalie Leclerc inscrit un doublé. Il suffisait d'un nul pour monter. C'était énorme ! Il y avait un monde fou, on a fait la fête avec eux !", raconte-t-elle, alors qu'elle n'avait que 22 ans à l'époque.
"Deen Touré avait un fonctionnement professionnel, sur la façon de se préparer, d'aborder les matchs ou même l'hygiène de vie"
Catherine Groussard
Pendant plus de 30 ans, le football féminin en Normandie a tourné autour de Condé-sur-Noireau et de Cormelles-le-Royal, avant que l'Avant-Garde Caennaise n'atteigne le niveau national en 2016. Il s'agissait des deux clubs phares de la région, les seuls à avoir joué dans l'élite du football féminin français. Ne pas parler de cette rivalité dans l'histoire du FCFC serait une hérésie, peu importe les générations. L'un des premiers derbys remonte à la saison 1996-1997. Pour cette occasion, le président Jean Elisabeth mettait toujours les petits plats dans les grands. A la veille de ce choc, les Condéennes avaient fait une sorte de « mise au vert », et avaient dormi à Thury-Harcourt, soit à 20 km de Condé. Soudain, "une joueuse dit : « Elles jouent contre qui Cormelles, aujourd'hui ? ». C'était nous ! C'était très drôle car nous, les joueuses du coin, on ne pouvait pas oublier cet adversaire", témoigne Aurore Hélie. Les deux équipes se sont souvent rencontrées en championnat mais c'est surtout dans feu la Coupe de Basse-Normandie que le FCFC et l'ESC s'affrontaient. Et très souvent, en finale. "Il y a toujours eu une animosité mais finalement, plusieurs filles ont basculé d'un camp à un autre. Mais quand on est baigné dans un derby depuis petite, c'est un moment important. J'attendais ce match chaque année", glisse Aurore Hélie. Ce derby donnait souvent lieu à des étincelles. "Jean nous conditionnait pour ce derby. On savait qu'il ne fallait pas le perdre", résume Camille Nerbonne. "Il y avait beaucoup de rivalité alors qu'on jouait parfois contre des copines". L'histoire rapporte que Condé a plus de coupes à la maison. De quoi remettre de l'huile sur le feu...
Léa QUINIO