Messieurs, quand on évoque la Coupe de France, quelle est la première chose qui vous vient à l’esprit ?
Philippe Clément (PC) : "Quand j’ai quitté Malherbe, j’ai eu la chance de vivre un 32e avec Vire (contre Le Havre AC, en février 1992). A cet instant-là, tu deviens le héros du village pour les gamins, des gens pleurent, ils sont dans un état second alors que d’habitude, certains n’aiment pas plus que ça le foot. Tu apportes de la joie. C’est ça qu’on retient. Quand tu y as goûté une fois dans ta carrière, tu n’attends qu’une seule chose, c’est que ça se reproduise. Avec le SU Dives-Cabourg, à chaque fois qu’on est éliminé, je suis décomposé car il faut patienter un an avant de vivre de nouveau ces émotions. La Coupe de France, c’est la seule chose qui m’a fait pleurer de bonheur. C’est magnifique, c’est magique. Je suis amoureux de cette compétition".
Eric Fouda (EF) : "Magnifique. Il n’y a pas de mot plus fort, je pense. Cette compétition procure d’incroyables émotions, elle crée une dynamique, une euphorie. Il y a un petit côté fou. Le sport est vraiment irrationnel avec cette notion d’exploit. C’est difficile d’expliquer comment une équipe peut augmenter autant son niveau sur un match. En tout cas, c’est une aventure qu’on n’oublie jamais, ça laisse des souvenirs à vie".
"QUAND TU VOIS CES 400 SUPPORTERS QUI FONT LE DÉPLACEMENT JUSQU'À YVETOT, TU AS L'IMPRESSION QU'ILS ÉTAIENT 4 000"
Eric Fouda
PC : "Comment expliquer qu’une R3 puisse battre une Ligue 2 après avoir été menée 2-0 à la mi-temps ? Mes joueurs qui vont me lire me chambreront car je donne tout le temps cet exemple. Mais c’est comme si Pont-l’Evêque sortait Malherbe ! Il y a aussi le cas de Clermont, en CFA à l’époque, qui élimine aux tirs au but le PSG, et sa douzaine d’internationaux, après avoir été mené 4-1 à 20 minutes de la fin (en 1997). Quand tu as vu ces exploits, tu n’as pas le droit de ne pas y croire. Pourquoi eux et pas nous ? Quand je raconte tout ça, j’en ai presque des frissons".
Eric, avant ce magnifique parcours avec le Bayeux FC, quel est votre meilleur souvenir en Coupe de France ?
"Avec Quevilly (dont il a été l’entraîneur de 2000 à 2005 puis durant l’exercice 2007-2008), j’ai fait plusieurs parcours. Le plus beau, c’est celui où on atteint les 8e de finale contre Sedan, à l’époque en Ligue 2 (en 2005). Nous, on était en CFA (N2). On avait éliminé de sacrés adversaires : Rouen (N1) au 7e tour, Le Havre (L2) à Deschaseaux, Guingamp (L2) puis on remporte un vieux match à Romorantin (N1). On s’était fait marcher dessus, je ne sais pas comment on gagne. De ce parcours, on sort avec un regret, celui d’avoir joué sur un terrain gelé le 8e. Nos adversaires avaient des crampons adaptés et nous, non. Ce match, on avait voulu à tout prix le remettre au lendemain, mais l’arbitre n'était pas d’accord. Ça m’a donné l’impression de ne pas avoir perdu à armes égales. Je m’en rappellerai toute ma vie".

Crédité de nombreux parcours en Coupe de France, notamment avec l'US Quevilly, Eric Fouda a déjà atteint les 8e de finale au cours de sa carrière d'entraîneur. ©Damien Deslandes
Des parcours qui commencent souvent très tôt dans la saison avec des matchs pièges…
EF : "Je n’oublie pas ces « petits » tours. De l’extérieur, on croit qu’ils comptent pour du beurre. Ce qui est marrant, c’est que j’ai l’impression que tu vas loin en coupe les années où tu souffres lors des premiers tours. L’année où on va en 8e de finale avec Quevilly, dans les premiers tours, on gagne contre une équipe de 1re division (départementale) aux tirs au but ! Aux tirs au but ! Et derrière, le parcours est tout simplement magnifique".
PC : "Au-delà des matchs, ce dont tu te rappelles, c’est d’un regard, d’une ambiance…"
EF : "C’est vrai que ce qu’on garde, ce sont les moments partagés ensemble. Quand tu vois ces 400 supporters qui font le déplacement jusqu’à Yvetot (au 8e tour), qui entrent dans le stade en chantant, tu as l’impression qu’ils étaient 4 000. Cette joie, ce bonheur, cette fête… Tu as juste envie que ça ne s’arrête pas".
A titre personnel, est-ce que ces parcours en Coupe de France représentent une forme de reconnaissance pour votre vocation d’entraîneur dans le milieu amateur ?
EF : "On ne court pas après la reconnaissance sinon, on ne ferait pas ce job. Maintenant, on ne va pas se mentir, on est fier. En tant qu’entraîneur, on aime la Coupe de France, on aime ses joueurs, on aime son club…"
"Un exploit, ça se prépare. Il faut un peu de folie. Si tu fais d'un 32e de finale un match banal, ça le devient et la N2 bat la R1"
Philippe Clément
PC : "Au-delà de notre cas personnel, le plus important, c’est la reconnaissance que ça apporte à ton club. La saison dernière, j’étais content que le SU Dives-Cabourg soit exposé, avec ses particularités et cette fameuse phrase qui nous résume : « Ici, ce n’est pas ailleurs ». Ça montre que tu peux bosser simplement et sainement. La Coupe de France permet de mettre en avant des joueurs, des bénévoles, le vrai foot amateur. Je me souviens l’année dernière dans le vestiaire de Bayeux(1), j’avais dit aux gars : « Bouffez dans chaque seconde de votre parcours, répondez à toutes les sollicitations car un parcours comme celui-ci ne se représentera peut-être jamais dans une carrière. Profitez-en ».
(1)La saison dernière, au 5e tour de la Coupe de France, le Bayeux FC et le SU Dives-Cabourg s’étaient affrontés. Les joueurs de Philippe Clément s’étaient qualifiés dans des circonstances particulières. Alors qu’il menait 1-0, le club du Pays d’Auge avait été déclaré vainqueur sur tapis vert ; la rencontre ayant été arrêtée à la mi-temps, la faute à un pylône électrique du Stade Henry-Jeanne qui ne s’est jamais allumé.
Philippe, est-ce que vous identifiez des points communs entre le parcours du Bayeux FC et celle du SU Dives-Cabourg la saison dernière ?
"Le côté humain. C’est ce qu’on retient dans ces aventures. Et à Bayeux, on sent qu’il y a quelque chose qui est en train de se créer. Encore une fois, ces parcours en Coupe de France, ils appartiennent aux hommes, plus qu’aux footballeurs. Et pas seulement entre Eric et ses joueurs. Il y a une osmose qui doit concerner l’ensemble du club. Quand tu veux réaliser un exploit, il te faut un décor spécial. Un exploit, ça se prépare. Il faut un peu de folie. Si tu fais d’un 32e de finale un match banal, ça le devient et la N2 bat la R1 à tous les coups. Quand j’entends Eric qui parle de ces 400 personnes pour les soutenir à Yvetot, ça ressemble à notre match à Saint-Lô (au 7e tour), où une partie du stade était acquis à notre cause. Je suis persuadé que sans ce soutien, on ne passe pas à Saint-Lô (1-1, 5-4 tab) et c’est la même chose pour Bayeux à Yvetot".

Amoureux de la Coupe de France, Philippe Clément a vécu ses plus belles émotions de footballeur avec cette compétition. ©Philippe Clément
Eric, pour poursuivre votre épopée, si vous deviez « emprunter » un élément du parcours du SU Dives-Cabourg de la saison dernière ?
EF : "A Dives, je suis envieux d’une chose : de leur vestiaire ! J’ai eu la chance d’y pénétrer, il pue l’histoire, avec toutes ces photos accrochées".
PC : "Elles ont un peu jauni mais on les garde (sourire)".
EF : "A Dives, quand les mecs entrent dans ce vestiaire, ils ressentent l’histoire du club. Tu sais que tu n’arrives pas n’importe où. C’est ce qu’il nous manque peut-être à Bayeux. Le Stade Henry-Jeanne, on ne l’a à disposition que le jour du match. Dans dix ans, quand les futurs joueurs du club entreront dans le vestiaire des gars qui ont battu Malherbe, c’est dommage s’il n’y a pas une photo pour le rappeler. Car du coup, c’est compliqué de transmettre l’identité du Bayeux FC à travers ce vestiaire. Les jours de match, on essaye de le corriger en le décorant spécialement pour l’occasion. Une photo, un article… C’est important pour faire comprendre certaines choses aux gamins".
Messieurs, si vos épopées respectives sont magnifiques, elles ne sont pas sans laisser des traces, notamment pour le championnat, votre pain quotidien. Est-ce qu’un parcours en Coupe de France est compliqué à gérer pour un club amateur ?
PC : "Nous, au SU Dives-Cabourg, peut-être que notre épopée en coupe, on la paye cette saison. En avril-mai, on a eu une demi-douzaine de joueurs sur le flanc que je commence tout juste à récupérer. Après, ça m’emm… de nous chercher des excuses (à la trêve hivernale, après 11 journées, le SUDC est lanterne rouge de sa poule de N3)".
EF : "Mais c’est une réalité".
PC : "Sans m’en rendre compte et de façon inconsciente, c’est peut-être moi qui a été le plus marqué. Ces derniers mois, j’ai moins transmis cette p… d’énergie. Le pic émotionnel a été tellement fort la saison dernière. Je n’ai pas honte à le dire. Maintenant, j’ai digéré, les joueurs ont digéré, on a digéré…"
"A Bayeux, j'apprehende le ce moment (l'élimination). Est-ce qu'on va réussir à retrouver de l'énergie pour le championnat"
Eric Fouda
EF : "Avec le recul, à chaque fois que le club que j’ai dirigé a réalisé un parcours en coupe, il n’a pas atteint l’objectif fixé en championnat. Une fois que tu es éliminé, mentalement, tu lâches un peu et physiquement, tu fais moins efforts. Avec Bayeux, j’appréhende ce moment-là, surtout qu’on a des matchs de retard (deux sur la plupart de ses concurrents). On n’est pas loin de la zone des relégables (9e/12). Est-ce qu’on va réussir à retrouver de l’énergie pour le championnat ? Ce qui peut nous aider, c’est qu’après le 32e, c’est la trêve. Pendant 15 jours, les garçons oublieront le foot, ils souffleront, ils pensent à autre chose…"
PC : "Si ça peut te rassurer, Eric, quand on a joué Le Puy puis Cannes (tous les deux pensionnaires de N2), on a réalisé en parallèle une série de neuf matchs sans défaite en championnat qui nous a permis d’obtenir notre maintien. Par contre, une fois obtenu, ce fut la décompression totale alors qu’on avait un coup à jouer".

Contrairement à ce que pourrait laisser suggérer ce cliché, Eric Fouda, ici tiré par son latéral gauche, Anthonin Cathrine, laisse exploser sa joie après l'égalisation de son équipe contre Malherbe. ©Damien Deslandes
Il y a également cette fameuse gestion des cartons jaunes avec les suspensions qui peuvent en découler en Coupe de France ?
PC : "Jusqu’à Saint-Lô, je n’avais rien calculé. Après, c’est ce qui m’a le plus perturbé. En plus, au moment de notre parcours, on était loin d’être sauvé. Du coup, pour les joueurs sous le coup d’une suspension, tu te poses plein de questions. Est-ce que je les mets sur le banc ? Est-ce que je prends le risque en les laissant titulaires ? Pour moi, la décision relève d’une concertation entre le coach et le joueur en question. S’il se sent prêt à prendre le risque… Bon, on n’est pas obligé d’accepter non plus (sourire). Pour certains joueurs, on sait qu’on en aura absolument besoin au prochain tour".
EF : "C’est vrai que c’est compliqué à gérer. Pour ma part, j’ai laissé le choix aux joueurs. Par exemple, Paul (Aubel) a deux jaunes depuis longtemps, déjà avant d’affronter Malherbe (au 7e tour). Contre Malherbe justement, je savais avant le match que si Ben (Renaux) et Romain (Guillotte) prenaient un carton, ils seraient suspendus pour le prochain tour. Je ne leur avais pas dit par contre. Bon, de toute façon, je ne pouvais pas m’en passer".
Philippe, Eric, dans vos parcours d’entraîneur respectif, vous avez comme point commun d’être passé par le Stade Malherbe(2). Que vous en reste-il ?
PC : "Des rencontres. Si j’ai voulu être entraîneur, c’est grâce notamment à l’aura d’un Jean-Claude Medot, qui fut mon coach en cadets nationaux pendant deux ans (il fut également directeur sportif du Stade Malherbe de 1983 à 1999). Dans un vestiaire, il te transcendait. Et bien sûr Pascal Théault(3). Pascal, c’était le contenu des séances, l’aspect technique, la progression des joueurs… Quand j’ai passé mon diplôme du BE à Dives, Pascal était mon tuteur. Il m’a même laissé les pros. A l’époque, il y avait quand même des joueurs comme Pascal Vahirua, international français (22 sélections). Je me revois encore mettre mes coupelles".
"j'ai vraiment envie que cette équipe de Bayeux représente la Normandie comme le SU Dives-Cabourg a pu le faire la saison dernière"
Philippe Clément
EF : "C’est la même chose pour moi, je retiens des rencontres. A Malherbe, il y a quatre personnes qui m’ont changé : Pascal Théault, pour la tactique, le marquage en zone, les fermetures extérieurs, Nasser Larguet(4), un fou des contenus de séances, il fallait que tout soit calculé au détail près, Daniel Jeandupeux(5), un peu un philosophe du foot avec une imagination débordante. Il inventait des situations".
PC : "C’est lui qui a amené la zone en France. Ce fut un précurseur".
EF : "Il y a aussi un mec extraordinaire, hyper compétent, un peu dans l’ombre, dont on ne parle pas beaucoup, c’est Christophe Desbouillons(6). C’était un sacré adjoint, performant dans les contenus, meneur d’hommes et d’une gentillesse extrême. Grâce à ces hommes, durant mon passage à Malherbe, j’ai gagné 10-15 ans de formation comme éducateur".
Philippe, est-ce que vous auriez un dernier mot à adresser à Eric avant son 32e de finale ?
"Comme je lui ai envoyé par message avant le tour précédent, pour passer ce 32e, il faut que ses joueurs continuent d’être Fouda’mour pour cette compétition, pour cette Coupe de France. Du fond du cœur, j’ai vraiment envie que cette équipe de Bayeux représente la Normandie comme le SU Dives-Cabourg a pu le faire la saison dernière. Car, c’est un honneur. Pendant et après notre parcours, vous ne vous imaginez pas le nombre de marques de sympathie reçues dans les stades. Et quand tu arrives en 32e, ça change tout : la télé (tous les matchs sont retransmis par beIN Sports), l’entrée en lice des Ligue 1, ton stade relooké par la FFF…"
> Coupe de France. 32e de finale - Bayeux FC (R1) / Blois (N2), samedi 20 décembre à 15 H 30 au Stade Henry-Jeanne.
Propos recueilli par Mathieu BILLEAUD
(2)Eric Fouda de 1997 à 1999, Philippe Clément, à partir de l’âge de 15 ans sous l’impulsion de Pascal Théault, en parallèle de sa carrière de joueur au SM Caen jusqu’à la réserve.
(3)Après avoir effectué toute sa carrière de joueur au Stade Malherbe, jusqu’en Division 2, Pascal Théault a notamment été le directeur du centre de formation du club caennais (1992-1997), avant d’entraîner l’équipe « pro » (1997-2000).
(4)Actuellement directeur technique de l’Arabie Saoudite, après être aussi passé par la fédération marocaine et l'OM, Nasser Larguet a été le directeur du centre de formation du SM Caen (1998-2002).
(5)Entraîneur du SM Caen, de 1989 à 1994, Daniel Jeandupeux y est revenu en tant que manager général, de 1997 à 2000.
(6)Formé au SM Caen, Christophe Desbouillons a été successivement l’adjoint de Pascal Théault, Jean-Louis Gasset, Hervé Gauthier puis Patrick Rémy (1998-2002).






