Il n'y a pas que le foot dans la vie ! En partenariat avec la Région Normandie, la rédaction de FOOT NORMAND a décidé de mettre à l'honneur les athlètes de la Team Normandie. Alors que la nouvelle Team, pour l'olympiade 2028, a été dévoilée la semaine dernière, nous avons décidé de rendre un hommage à un ancien membre de ce collectif, qui a décidé de prendre une retraite sportive bien méritée : M. Kévin Campion.
Les Mondiaux de Tokyo : la clôture d'un beau chapitre
"Ma tête ne suivait plus. J'ai préféré arrêter avant qu'il ne soit trop tard"
Kévin Campion a sûrement glissé un « Sayonara » - au revoir en japonais - en quittant Tokyo il y a quelques semaines. Ces Mondiaux d’athlétisme en Asie sont venus clôturer un immense chapitre de sa vie. A 37 ans, le Normand a terminé à une respectable 21ᵉ place sur le 35 km marche (2 H 39'12), remporté par le Canadien Evan Dunfee, et a décidé de mettre fin à sa carrière en « Bleu ». Au moment d’entrer sur la piste du Stade National, pour parcourir le dernier tour de son ultime sortie, tout est remonté à la surface. "Mes enfants et ma femme étaient sur la ligne d’arrivée, les voir ici, c’était émouvant", confie-t-il. "Dans les derniers mètres, je me suis arrêté pour profiter de cette clameur et ce bruit dans le stade. La perf et le chrono, je m’en foutais à ce moment-là, je voulais juste kiffer. Je n’étais pas là pour gagner une médaille, je n’ai plus le niveau". Lucide et "soulagé" de dire stop après deux années difficiles, le Dieppois a vécu des émotions fortes. Sur le tartan, il est même venu réconforter son compatriote Aurélien Quinion, qui, pris de crampes, est arrivé 5ᵉ, proche de réaliser un exploit. "Il était inconsolable et très méchant avec lui-même. Je lui ai dit qu’il avait fait une course énorme".
A Tokyo, Kévin Campion n'a pas fait que courir. Ou plutôt marcher. Pour le dernier rendez-vous de sa carrière, le licencié du Stade Dieppois a décidé de vivre son stage préparatoire comme un voyage en solitaire et de sortir du cadre habituel imposé par la Fédération française d’athlétisme. "Je suis parti un mois et demi au Japon, tout seul, avec mon sac à dos. J’avais envie de vivre pleinement l’événement sur la préparation, pendant la compétition et l’après", témoigne-t-il. Installé à Wakayama, à 550 km de Tokyo, il a vécu comme un local, s'imprégnant de la culture nippone. "Je suis un gamin des années 1990, le Japon m’a toujours attiré avec ses jeux vidéo et ses mangas. J’ai visité les temples, j’ai acheté un vélo sur place pour aller découvrir les plages et la montagne, et je n’ai pas arrêté de manger japonais", sourit-il. Les sushis sont-ils autorisés pour les sportifs de haut niveau ? "Bien sûr, du riz et du poisson frais, c’est bon !"
Plaisir et préparation sérieuse ont rythmé ce stage, afin de s’adapter au mieux à la chaleur et l’humidité du Japon, dont il a d’ailleurs souffert lors des Jeux Olympiques de 2021, en pleine crise sanitaire. Cette mise au vert était pour lui "une récompense" de son immense carrière avant de tourner la page, définitivement. "J’ai préféré arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Ma tête ne suivait plus. J’avais de moins en moins de plaisir à m'entraîner. Je suis arrivé au bout de quelque chose il y a un an quand j’ai raté la qualification pour les Jeux de Paris, mais Gilles Garcia (l’entraîneur qui l’a accompagné aux JO de Rio et Tokyo, décédé en décembre 2024) m’avait dit « ne termine jamais ta carrière sur un échec, tu seras aigri toute ta vie ». Ces derniers championnats du monde étaient une manière de lui rendre hommage".
Yohann Diniz, super ami et coloc’ de chambre
"On avait pris l’habitude de boire une petite bière la veille de chaque course !"
Si la marche est souvent sous-représentée médiatiquement, Kévin Campion a marqué les esprits de l’athlétisme français. Avec six participations aux championnats du Monde, quatre participations aux « Europe », deux olympiades, 33 sélections chez les « Bleus » et 20 titres nationaux, son palmarès a de quoi faire rougir de jalousie ses concurrents. L’ex-athlète de la Team Normandie, soutenu par la Caisse d’Epargne, garde en mémoire son premier titre de champion de France élite en 2013 sur 10 km. Ce jour-là a même changé sa vie. "C’était au stade Charléty, j’étais dans la forme de ma vie, je tournais comme un avion et j’ai mis 200 mètres à Yohann Diniz, improbable ! C’est aussi le jour où j’ai rencontré un des directeurs de La Poste, et quelques semaines plus tard, il m’a proposé un contrat qui me permettait d’allier travail et marche athlétique", se souvient le natif de Vénissieux, basé à Dieppe en 2012.
Entre ses 14 ans, l'âge où il a « marché » pour la première fois et ses 37 ans, Kévin Campion a accumulé de nombreux bons souvenirs comme les championnats d’Europe à Munich en 2022. Son chrono sur le 20 km (1 H 20'47) lui avait permis d’être propulsé au sixième rang des marcheurs sur le vieux continent. Six ans plus tôt, il avait vécu ses premiers JO à Rio, terminant en 49e position. Cinq ans plus tard, à Tokyo, il s’offrait une incroyable 16e place. "Je n’étais pas dans une grande forme physique. A la mi-course, je dois être 35e mais j’ai eu la lucidité de ne pas paniquer. Cette course s’est jouée au mental, ce fut un combat contre moi-même pour remonter". Sous une chaleur accablante, Yohann Diniz, l’un des plus grands marcheurs de tous les temps, a vécu un enfer sur le 50 km au Brésil. Victime d’un malaise en pleine course, l’athlète avait pris la 7e place.
Pour son compatriote sous le maillot bleu-blanc-rouge, Yohann Diniz a été plus que déterminant dans sa carrière. "Yohann est comme mon grand frère. Il m’a rendu des services dont je lui serai reconnaissant à vie. En 2006, je lui demandais un autographe. Je n’aurais jamais imaginé être avec lui tout au long de ma carrière". Plus que coéquipiers, les deux hommes étaient surtout colocataires de chambre sur les grandes compétitions. Au point de devenir copains, complices, et faire les 400 coups ensemble. "On s’est fendu la poire", plaisante Kévin Campion, avant d’en dire un peu plus. "On avait pris l’habitude de boire une petite bière la veille de chaque course ! On connaît à peu près les bières de tous les pays où l’on a couru. J’ai trouvé de belles pépites au Japon !" Yohann l’ordonné, Kévin l’obéissant, les deux marcheurs se sont bien trouvés. Dans l’ombre du triple champion d’Europe et champion du monde 2017 à Londres, le Normand d’adoption ne l’a jamais mal vécu, au contraire. "Yohann a mis en lumière la marche et a donné envie aux jeunes d’en faire. Il a changé l’image de notre discipline, car il avait le caractère et la gueule pour le faire !"
En 2022, avec son chrono sur le 20 km des championnats d'Europe à Munich (1 H 20'47), Kévin Campion avait été propulsé au sixième rang des marcheurs sur le vieux continent.
Paris 2024, une douleur intense
"J’ai pleuré quand Céline Dion a chanté, je me disais : « Tu n’y es pas, ça fait chier »
Le marcheur français a grandi à côté de l’Allemand Christopher Linke ou encore de l’Espagnol Miguel Ángel López, le gratin mondial de la marche, mais "je n’ai jamais été dans le groupe de tête, plutôt dans le peloton". Sa non-qualification pour les Jeux de Paris 2024, à la maison, reste, sans aucun doute, la plus grande déception de la carrière de Kévin Campion. "Je l’ai digéré, mais ça reste un regret", reconnaît-il. Si bien que la soirée du 26 juillet 2024, jour de la cérémonie d’ouverture sur la Seine, le Normand l’a passée dans sa voiture, en route pour des vacances dans les Pyrénées. "Je ne pensais pas que ça m'atteindrait, mais je ne voulais pas être à Paris. J’ai suivi la cérémonie sur mon téléphone et j’ai pleuré quand Céline Dion a chanté. Je me disais : « Tu n’es y pas, ça fait chier »". Maigre consolation, le 5 juillet, le Kévin Campion a eu l’honneur de porter la flamme olympique en Normandie, à Dieppe. Un souvenir fabuleux venu cacher sa peine. "C’était incroyable. Quand c’était mon moment, c’était presque trop court. J’ai eu des frissons ! Il y avait un monde dingue ! J’étais alpagué à droite et à gauche, les policiers ont même dû faire la sécurité". Puis, en août, une fois la pilule avalée, il est allé assister aux Jeux paralympiques dans la Capitale.
Éducateur et brasseur, et pourquoi pas ?
"Impossible de couper le cordon, l’athlétisme, c’est ma vie !"
Rentré à Petit-Caux, ville de 10 000 habitants, Kévin Campion a déjà réfléchi à la suite à donner à sa carrière. Détaché de son temps de travail à La Poste jusqu’au 1er janvier 2026, il met déjà à profit cette période sans compétition. Depuis la rentrée, l'athlète chausse les baskets deux fois par semaine pour entraîner les benjamins et minimes du Stade Dieppois, "pour transmettre" ce qu’on lui a donné étant plus jeune. "Je veux juste donner envie aux jeunes de tomber amoureux de l’athlétisme, comme je l’ai vécu". Sauts, courses, lancers... Tout y passe. Dans sa pratique « perso », le Normand privilégie désormais le sport plaisir, comme de courir avec des amis chaque mardi soir.
Il envisage aussi de participer à quelques courses locales (10 km, semi-marathon, trails...). "C’est impossible de couper le cordon, l’athlétisme, c’est ma vie !" Pas seulement. Sur sollicitation de quelques copains, il va également s’inscrire pour la première fois de sa vie dans un sport collectif… le football ! Se former pour la troisième mi-temps devient alors incontournable. Grand amateur de bières, l’athlète tout juste retraité s’est inscrit dans une formation d’artisan brasseur, qu’il débutera le 20 octobre à Rouen. Dans l’optique d’ouvrir sa propre brasserie ? "Je ne sais pas si j’en ferai mon métier, mais on peut l’imaginer", plaisante-t-il. "Je n’ai pas encore réfléchi à des recettes, mais un clin d'œil à la marche pourrait être sympa". Assurément, l'après-carrière de Kévin Campion ne sera pas de tout repos.
Léa QUINIO